31 octobre 1943

North American Mustang Mk IA FD554 (code N)
Saint Méloir des Bois, "Champ du bois de Couavra" (22)

(contributeur : Pascal Lebigot, Jean-Michel Martin)

Mustang mk ia fd554
© Jean-Marie Guillou

Squadron 168 raf

"Rerum Cognoscere Causas"
"Pour connaître la cause des choses"

168 SQN Royal Air Force

Pilote (norvégien) : Sous-Lieutenant Jan Gert VON TANGEN


Fenrik (Sous-Lieutenant) Jan Gert VON TANGEN, 26 ans
Corps rapatrié à Vestre Gravlund, Oslo, le 9 Septembre 1946


Le bourg de Saint Méloir des Bois autrefois


Commémoration du 23/11/2013 : "Les ailes du Lieutenant von Tangen" -
Film réalisé par Bonnie & Clark Productions 

L'HISTOIRE
Dimanche 31 Octobre 1943. Saint Méloir des Bois. "Champ du bois de Couavra". 
Crash aérien du Mustang Mk IA FD554, piloté par le 2nd Lieutenant (grade de Fenrik dans l'armée de l'air royale Norvégienne) Jan Gert von Tangen.

Ce pilote Norvégien, volontaire de Réserve de la Royal Air Force, a rejoint le 25 août 1943 le 168th Squadron de la 2th TAF (Force Aérienne Tactique). Jan Gert von Tangen venait de la base d'Old Sarum, dans le Wiltshire près de Salisbury, où se situait l’école de formation des pilotes de reconnaissance tactique du 41 OTU (Operational Training Unit - Unité de Formation Opérationnelle).

Le 168 th Squadron de la RAF avait été formé à Snailwell près de Cambridge Angleterre le 15 juin 1942. En juin 1943, il rejoignit la base de Odiham dans l'Hampshire, où équipé du Mustang Mk I (P-51 Mustang, avion de chasse américain conçu par North-American Aviation), il devint opérationnel pour des missions de reconnaissances photographiques et d'attaques sur le territoire ennemi. Les pilotes de cette unité venaient des pays du Commonwealth, de pays occupés, que ces jeunes hommes avaient fui en début de guerre, mais aussi de pays en lutte contre les forces de l'Axe. Bien souvent empreints d'un désir de combattre pour la Liberté, ils s'engageaient pour la durée de la guerre. On retrouve aussi cette jeunesse dans l'expression d'un rêve d'aventure. Bien souvent hélas, la dureté des combats détruisait à jamais leurs illusions et malheureusement pour un grand nombre, leur vie.


Mustang Mk I, AG346, Speke Airport, Liverpool. Cet avion servit avec les Squadrons No 225, 63 et 26 de la RAF, puis au No 41 Operational Training Unit. En 1944, le AG346 returna aux operations avec les Squadrons no 16 et 168 de la RAF du 2nd Tactical Air Force, avant d'être finalement abattu par la Flak près de Gacé, en France, le 20 août 1944.
© IWM (ATP 10680C) - domaine public

En juillet 1943 le Squadron rejoignit la base de Thruxton Hampshire (à environ 100 kms au sud-ouest de Londres) où lui sera fixé par l'État-major, une mission générale d'investigation du territoire français dans sa partie nord avec pour objectif principal la photographie de sites stratégiques importants, ponts, bâtiments, aérodromes, infrastructures portuaires, etc... mais aussi de missions de reconnaissances armées dénommées ''Rhubarb'' dont les objectifs seront à l'opportunité du leader du groupe, également des missions ciblées, précises, définies à l'avance par l'état-major. A 7 mois du déclenchement de l'opération Overlord, les missions vont en s'intensifiant, amenant les pilotes à effectuer plusieurs reconnaissances par jour quand la météo le permettait. Il fallait porter des coups sévères à un ennemi redoutable et savoir parfaitement comment il était implanté sur le territoire occupé, de manière à le détruire et empêcher ses déplacements. Le Mustang Mk I et Mk IA était un chasseur bombardier spécifique fabriqué aux USA par la firme North-Américan Aviation (Usines à Inglewood, Californie et à Dallas, Texas) et attribué aux britanniques par un système financier de prêt bail. Il sera attribué au SQN 26 en janvier 1942, puis SQN 2 et 16 en avril, puis plus tard aux SQN n° 4, 63, 169, 239, 241, 268, 309 (Polonais), 400 (RCAF), 414 (RCAF), 430 et 613. Ce chasseur monomoteur spécifique avait la particularité d'être équipé d'un système photographique oblique (1 ou 2 caméras K24 ) fixé juste en arrière de l'appuie tête du pilote et qui selon son déclenchement, rapportait à sa base 5 clichés très précis de cibles stratégiques rencontrées lors du vol ou définis comme objectifs principaux.


Equipement photographique du Mustang Mk 1A

De plus, l’avion était équipé d'une caméra gun (ciné-mitrailleuse) couplée aux canons de bord. Le déclenchement des tirs entraînait la mise en marche de cette caméra fixée sur l'extrémité de l'aile gauche. Il était ainsi possible de visionner une attaque au retour de la Mission. Le Mustang IA à la demande des Britanniques, était équipé de 4 canons de 20 millimètres Hispano Suiza, répartis par 2 dans chaque aile, lui donnant une force de frappe redoutable. De plus, son moteur Allison V 1710-87 de 1250 chevaux, doté de 12 cylindres en V, lui conférait de grandes performances, pouvant le conduire en vitesse de pointe à près de 600 kilomètres heure. Poids de l'appareil à vide 3175 kilos auquel venait s'ajouter le poids du carburant (grands réservoirs), des munitions et parfois l'emport d'une bombe de 250 kilos placée sous l'avion (ce qui n'était pas le cas lors de cette mission du Sous-Lieutenant von Tangen).

Le Dimanche 31 octobre 1943, à 15 heures (heure anglaise), le Flying Officer Desmond Alan Cliffton-Mog (Voir sa biographie) décolle de la base de Thruxton à bord de son Mustang IA Immatriculé FD488. Il a pour coéquipier le 2nd Lieutenant Jan Gert von Tangen qui lui aussi pilote un Mustang IA, immatriculé FD554 et codé N. Tous deux se connaissent bien, ils viennent d'effectuer ensembles plusieurs missions. Missions qui se sont déroulées sans problème, toutes au-dessus du territoire britannique. Ils partent cette fois pour une reconnaissance photographique dénommée ''Poplard", consistant, lors des prises de vues, à laisser un des deux aviateurs en surveillance d'une éventuelle attaque de la chasse ennemie, laissant l'autre opérer en sécurité. Aujourd'hui, ils ont reçu l'ordre de photographier les viaducs et les ponts entre Le Vivier sur Mer en Ille et Vilaine et Evran dans les Côtes du Nord à cette époque, ces deux villes situées dans le nord de la Bretagne. Cette mission photographique devra rapporter des clichés des ouvrages principaux placés sur les axes routiers et ferroviaires importants de cette région, mais principalement le viaduc de Dinan à la pointe sud de l'estuaire de la Rance. La capacité en prise de vues était de 250 clichés par caméra.

Reconnaissance camera control box mustang
Boitier de contrôle de la camera

Camera K-24 sur le Mustang

Photo © USAF - domaine public

En ce début de vol, viennent se joindre à eux , deux autres Mustang IA provenant du n° 268 Squadron, basés à Odiham dans l'Hampshire et pilotés par les lieutenants Lambert et Smith. Ces derniers n'ont pas la même mission, ils devront uniquement traverser la Manche ensembles puis ensuite se séparer en deux groupes et se diriger à haute altitude vers la Ville de Roye dans la Somme où ils devront, après être descendu à basse altitude, redoubler de prudence pour ne pas être touchés par la redoutable artillerie anti-aérienne, et ainsi photographier les ouvrages sur la ligne ferroviaire Paris-Lille.


Flying Officer Desmond Alan Clifton-Mogg

Les 4 Mustang volent groupés. Le lieutenant Cliffton-Mog qui est le leader, a fixé le cap et l'a transmis à ses coéquipiers. Ils sont tous les quatre sous l'autorité hiérarchique de leur supérieur, le Flying Officer Trevor Eyre Drew Mitchell du n° 268 Squadron qui a ordonné leurs missions respectives. Ils se dirigent vers l’île de Portland Bill et son phare érigé à la pointe sud. Portland Bill se trouve au sud de Weymouth. Comté du Dorset en Angleterre. Le vol se déroule dans de bonnes conditions. La météo est favorable. Les 4 aviateurs passent à 5 miles (un peu plus de 7 kilomètres) de la côte ouest de l’île Anglo-Normande de Guernesey. Il leur faut éviter les tirs des défenses anti-aériennes que les Allemands ont installées en nombre sur la bordure maritime. Très vite le littoral nord Breton apparaît à l'horizon. Le groupe se dirige maintenant vers la plage du Verger au nord de Cancale en Ille et Vilaine, tout en prenant de l'altitude pour éviter de possibles tirs ennemis. Comme prévu, le groupe se scinde en deux, les aviateurs communiquant par radio, s'orientent chacun vers leurs objectifs respectifs. Les Lieutenants Cliffton Mog et von Tangen plongent aussitôt sur le Vivier sur Mer où ils repèrent le pont dit Pont d'Angoulême enjambant la rivière venant du marais de Dol et se dirigeant vers la mer sur la route littorale. Ils effectuent un cliché et se dirigent ensuite vers Dol de Bretagne où ils ne s'attardent pas, pour continuer sur Dinan ou ils survolent l'imposant viaduc, dont ils font plusieurs clichés.


Le pont d'Angouléme au Vivier sur Mer


Le viaduc de Dinan

La mission s'achève, le retour va se faire à l'ouest tout d'abord, puis au nord ensuite. Il y a une heure dix qu'ils ont quitté l'Angleterre, quand soudain c'est le drame. Le lieutenant Cliffton Mog dans son rapport de retour de mission écrit ce qui suit : Tout allait bien. Notre mission était terminée. Nous volions à une altitude moyenne, quand soudain arrivé à 6 miles à l'ouest de Dol (il fait erreur, il faut comprendre Dinan vu le lieu du crash) j'ai vu l'avion de mon coéquipier le 2nd Lieutenant von Tangen décrire subitement un virage très serré, plongeant sur sa gauche, perdant rapidement de l'altitude, et venant s'écraser au sol dans une prairie. Tout s'est passé très vite. Il était 16 heures 15. J'ai été très surpris par cette chute soudaine. Nous n'avions pas de chasseurs ennemis autour de nous. Il ne m'a adressé aucun message radio. Au sol il n'y avait aucun poste de défense anti-aérienne ni aucun tir à ma connaissance. S'il y en avait eu, je pense que j'aurais aussi été pris pour cible. Je ne comprends pas ce qui s'est passé. Je n'ai rien remarqué. Après avoir survolé la zone du crash, j'ai décidé de rentrer immédiatement en faisant cap aux abords Est du Cap Fréhel, puis je me suis dirigé vers ma base de Thruxton où je me suis posé à 17 heures 20. Le 2nd Lieutenant von Tangen a été déclaré disparu.

Le 2nd Lieutenant von Tangen trouvera la mort dans cet accident. Il était âgé de 26 ans, né le 6 décembre 1917. C'était sa première mission au-dessus du territoire occupé. Il avait participé à plusieurs missions sur l'Angleterre, dont une le 22 octobre 1943 consistant en un vol test, en compagnie du lieutenant Cliffton Mog dont le but était une étude de consommation de carburant du Mustang. Vol qui fut réalisé sur une distance de 1000 kilomètres. Trois jours plus tard, le 25 octobre, il partit en mission au crépuscule pour une reconnaissance photographique d'une heure sur l'Angleterre. Il était ce jour là en compagnie des Lieutenants Cormack et Hussey.


Photo prise à Toronto Canada pendant sa formation de pilote

L'origine du crash à Saint Méloir des Bois, situé dans les Côtes du Nord à cette époque, ne fut jamais élucidée. Les deux aviateurs avaient bénéficié d'une permission de 7 jours, du 2 au 9 octobre 1943.

JAN GERT VON TANGEN QUITTE LA NORVÈGE.

Dans le cadre de l'opération Weserübung qui avait pour objectif l'invasion du Danemark et de la Norvège, les Allemands voulaient contrôler le transport maritime de l'acier Suédois dont ils avaient tant besoin. Le déploiement de l'armée Allemande sur le territoire Norvégien débuta le 9 avril 1940. Le 10 juin, la Norvège était occupée, le pays avait capitulé, le roi et sa famille étaient partis en exil. Au vu de cette dramatique situation, et refusant cette occupation, une partie de la population envisageât aussitôt de quitter le pays ou organiser la résistance. Certains avaient déjà rejoint le Royaume-Uni les mois précédents au vu de la tournure que prenaient les événements en Europe. Ils décidèrent de rejoindre les ports de la côte Est de l'Angleterre par voie maritime, seul but possible et seul territoire proche qui restait libre malgré les assauts d’Hitler qui, heureusement ne réussit jamais cette invasion. Très vite de multiples réseaux d'évasions par mer s'organisèrent au départ de la Norvège. Certains fonctionnaient déjà très bien depuis plusieurs mois. Les traversées étaient très aléatoires car il fallait souvent 2 à 3 jours, avec météo incertaine dans une mer du Nord souvent agitée. Certains évadés subirent un sort tragique. Repris par la Marine Allemande, ils étaient ramenés en Norvège. Souvent, malheureusement, ils furent condamnés à mort ou déportés en Allemagne. D'autres disparurent en mer, corps et biens lors du naufrage de leur bateau.

Le 30 mars 1941, le bateau de pêche nommé ''Bovag'' (immatriculé. M146G) appartenant à monsieur Vardseth est en préparatifs pour une évasion nocturne. Il est ancré devant le port d'Alesund, ville portuaire Norvégienne située à 230 kilomètres au Nord de Bergen. A la nuit tombante, 12 hommes rejoignirent discrètement le navire à bord d'une petite embarcation. Tous étaient candidats au départ. On y retrouvait Jan Gert von Tangen, qui lui aussi refusait le drame que subissait sa Patrie. Il voulait participer activement à la reconquête de la Liberté pour son pays, c'est pourquoi il faisait partie du groupe et souhaitait s'engager pleinement dans ce combat. Après une traversée sans problème d'une cinquantaine d'heures, le bateau arrivera dans le port de Lerwick aux Îles Shetland le 2 avril 1941.


Le "Bovag"

Le peintre de ce tableau est M. Harald BLINHEIM et le
propriétaire M. Arne VADSETH
''Norvegian merchant fleet'' 1939-1945

La chute de cet avion ce dimanche 31 octobre 1943 à Saint Méloir des Bois demeure toujours énigmatique pour les témoins rencontrés. La question posée ''pourquoi les allemands sont’ ils arrivés si vite ce jour-là sur les lieux, l'endroit étant isolé ? ''Il faut replacer cet événement dans le contexte de cette journée. En effet les allemands étaient nombreux sur la région ce dimanche-là. Ils étaient arrivés tôt le matin, une colonne était venue de Dinan en renfort et ratissait le terrain sur plusieurs communes à la recherche des résistants. La raison de cette vaste opération, était la mort d'un soldat vaguemestre de l'armée Vlassov dont le corps fut retrouvé dans un chemin creux près de la route Bourseul-Plancoët le samedi matin 30 octobre 1943. Ce dimanche 31 octobre à Bourseul, l'occupant encercla le bourg et pratiqua plus d'une centaine d'arrestations parmi la population. Un centaine d'otages furent gardés 24 heures dans l'école du bourg puis furent transférés le lundi 1er novembre au matin à Dinan pour être relâchés le lendemain en fin d’après-midi. Les deux événements se sont déroulés le même jour sans que l'on puisse conclure que la chute du Mustang du Sous-Lieutenant von Tangen soit due à cette présence allemande. 


Jan Gert von TANGEN jeune

TEMOIGNAGES

Madame Odette Buard.
Il me semble que cela se passait le jour de la toussaint 1943 en cours d’après-midi. Nous étions à une cérémonie religieuse dans l'église de Saint Méloir, quand tout à coup nous avons entendu un grand bruit, puis ensuite plus rien. C'était la guerre. On s'est tous demandé ce qui se passait. A la sortie de l'office la nouvelle s'est propagée, une personne a dit qu'un avion était tombé près de la Ville Rue. Nous habitions ce village. Nous sommes rentrés rapidement chez nous. En réalité l'avion s'était écrasé dans les bois de "Couavra" pas très loin de chez nous. Les allemands étaient déjà dans le secteur. Ma mère avait décidé que nous irions rechercher nos vaches par des petits chemins pour être plus en sécurité.

On apprit le lendemain que les allemands en arrivant sur le lieu de la chute de cet avion avaient raflé tous les jeunes gens qui s'étaient rendus sur place. Il y avait aussi un adulte dans le groupe. Ils  furent emmenés à Dinan, gardés plusieurs heures puis relâchés le lendemain. Il fut ensuite impossible de se rendre sur les lieux car les sentinelles allemandes gardaient l'endroit. Trois jours après, tard dans la soirée, Joseph Hervé fut réquisitionné par les allemands pour aller récupérer avec son cheval et sa charrette, le corps du malheureux pilote resté sur place. Il était dit que s'était un anglais. Je me rappelle aussi que le cultivateur s'était muni de sa lampe torche. Il faisait nuit quand la charrette arriva chez nous à la ville rue. Les hommes firent rentrer le cercueil dans notre maison et le déposèrent sur un de nos bancs. Nous n'avions pas vu le corps du pilote car un linge le recouvrait. Un deuxième cercueil avait été prévu mais ne servit pas. Le couvercle fut vissé. Les allemands assistaient à la scène. A la fin quelqu'un d'entre eux suggéra de boire quelque chose avant de repartir. Ma mère leur servit un petit verre de gnôle. Le cercueil fut sorti et déposé dans une voiture allemande. Nous n'avions pas su où l'occupant l'avait inhumé. Dans les jours qui suivirent, les allemands enlevèrent les restes de l'avion. A l'emplacement où il était tombé, il y avait un grand trou qui fut rebouché par la suite.

 

Madame Lemenager Marie.
Nous habitions le village de la "ville Bagot" en Bourseul où mes parents étaient agriculteurs. C'était un dimanche après-midi vers la fin octobre 1943, mon père Monsieur François Delamotte âgé de 39 ans, se trouvait à l'extérieur quand tout à coup il aperçut un avion qui tombait. Sans prévenir notre mère, il décida de se rendre sur les lieux immédiatement. Il partit dans cette direction, vers Saint Méloir des Bois et arriva le premier sur les lieux ne pouvant rien pour le malheureux pilote qui était mort dans cet accident. Les allemands arrivés plus tard, l’arrêtèrent, lui ordonnant de rester sur place. A la maison c'était l'inquiétude. Ma mère disait sans cesse ''mais où est’il allé ? Il a peut-être été tué ?" Nous ignorions tout de la chute de l'avion. La nuit se passa dans l'angoisse. En début de matinée, le lendemain, nous avons vu arriver chez nous Monsieur Olivier, habitant au village du "Breuil" en Plélan le Petit. Il nous expliqua que mon père avait été emmené par les allemands à Dinan avec son fils et quatre autres camarades. Il dit aussi qu'il fallait attendre des nouvelles. Nous étions tous inquiets. Papa et les autres jeunes rentrèrent le lendemain après-midi. Ils avaient étés libérés. C’est  Monsieur Fleury père qui les ramena en voiture à cheval. Papa avait acheté du pain en passant à la boulangerie de l'aublette à la sortie de Dinan. Ils avaient tous très faim. Le retour de papa à la maison fût une grande joie. J'avais 15 ans.

Monsieur Olivier Albert. Plélan le Petit
Je résidais au village du "Breuil" en Plélan le Petit et au cours de l’après-midi du dimanche 31 octobre 1943, veille de la Toussaint, j'eus connaissance par des camarades qu'un avion venait de tomber pas loin de chez nous. Je décidais immédiatement de m'y rendre seul. Après avoir parcouru la campagne qui menait au lieu de l'accident soit environ 800 mètres, j’avançais discrètement derrière un talus et de là, j’aperçus un homme posté debout près de la carcasse de l'avion détruit. L'avion était piqué dans le sol de la prairie en bordure du chemin. Il me semblait que cet homme n'était pas seul, je distinguais mal qui était avec lui. N'insistant pas je suis revenu chez moi au village où j'ai rencontré d'autres camarades qui m'ont  demandé de les y conduire. Nous sommes donc repartis vers le lieu de cet accident situé sur la commune de Saint Méloir des Bois. Notre groupe se composait de Pierre Fleury  13 ans, Victor Réhel 19 ans, Marie-ange Fairier 14 ans et Emile Benoit 15 ans et bien sûr moi-même qui leur servait de guide. Nous habitions tous le village du "Breuil". J'étais âgé de 16 ans.

Mon camarade Pierre Fleury avait avec lui son chien nommé ''Coco''. Arrivés près du talus, nous avancions prudemment quand soudain surgirent plusieurs allemands qui se mirent à tirer en l'air sauf un qui abattit le pauvre chien sur le talus. C'était l'effet de surprise total. Nous ne nous attendions pas à cela. Nous avions très peur. Les allemands nous firent lever les bras en l'air. Ils nous amenèrent dans la prairie, pas loin de la carcasse de l'avion et là ils nous firent allonger à même le sol, face contre terre. Nous avions reconnu François Delamotte qui lui fut arrêté avant nous. C'était lui que j'avais aperçu lors de ma première visite en ce lieu et déjà sans doute gardé par une ou plusieurs sentinelles. Plus âgé que nous, il avait environ une quarantaine d'années. Lui aussi fut obligé de se mettre à plat ventre sur le sol. Je dois préciser qu'avant cela nous avions subit une fouille au corps et sur moi ils avaient trouvé des fils de laiton avec lesquels il m'arrivait de poser des collets en vue d'attraper des lièvres. Ces fils me furent préjudiciables et je fis l 'objet d'un interrogatoire serré à Dinan.

Depuis un long moment, nous étions à plat ventre sur le sol de cette prairie et il ne faisait pas chaud. La pluie s'était mise à tomber. Nous étions trempés et la nuit commençait à venir. Quand la nuit fut tombée, les allemands nous firent nous mettre debout. On me retira ma ceinture. Et sous bonne escorte, nous sommes partis dans ce chemin boueux qui va vers le Bourg de Saint Méloir. Je n’arrêtais pas de perdre mon pantalon. Après avoir parcouru une distance qui me parut bien longue, nous avons été dirigés vers la cour du château de la Ville Rue. Dans un coin de cette cour, tous les 6 on nous donna à nouveau l'ordre de nous allonger à même le sol, toujours face contre terre. Le sol était très humide et la pluie n'avait cessé de tomber. On y resta environ 1 heure. Ensuite les allemands nous ont fait monter dans un camion. Des soldats en arme étaient parmi nous. On fut conduit au poste de garde de la Kommandantur de Dinan.


La Kommandantur de Dinan qui était située au 29 Rue de Brest
«Coll. Musée Yvonne Jean-Haffen - Maison d’Artiste de la Grande-vigne-Dinan».
Le titre de l’œuvre est "1942 : visite à la Kommandantur" - Numéro d’inventaire DG.55

Nous sommes passés un par un à l'interrogatoire. Le mien fut musclé du fait que j'avais sur moi ces fils de cuivre, les allemands se posaient bien des questions à ce sujet et voulaient savoir ce à quoi ils servaient. Je ne leur ai absolument rien dit. Je reçu de violents coups de pieds dans les fesses. Des agents de ville vinrent nous chercher et nous conduisirent au poste de police à la mairie. Je me souviens aussi qu'un des officiers allemands parlait bien notre langue. Le lendemain matin, 6 agents de ville Français nous conduisirent de nouveau à la Kommandantur pour un nouvel interrogatoire. Nous n'avions rien mangé depuis la veille. Au poste de police, on eut juste droit à un café avec un morceau de pain sec. Notre arrestation avait ému la population. Le Maire de Plélan le Petit, Monsieur Joseph Lefort, contacté par les allemands, s'était porté garant de sa personne déclarant que nous n'étions pas des terroristes comme les allemands le pensaient. Nous fument libérés en fin de matinée. Monsieur Pierre Fleury, père de notre camarade nous ramena à bord de sa voiture à cheval. A la boulangerie Martin à l'Aublette en Quévert on put manger un morceau de pain, Monsieur Delamotte ayant un peu d'argent sur lui. Ce triste souvenir est resté encré dans ma mémoire pour toujours.


C'est dans cette cour de la Malouinière de la Ville Rue que furent retenus
les 6 jeunes hommes avant leur départ vers la Kommandantur de Dinan

Monsieur Pierre Fleury de Plélan le Petit.
Ce dimanche après-midi, j'étais dans nos champs près du village du Breuil en Plélan le Petit ou nous habitions. Je gardais les vaches. En plus du troupeau, j'avais avec moi mon chien nommé ''Coco". Un grand chien noir, fidèle compagnon qui me suivait partout. En cours d’après-midi, j’aperçus au loin dans un ciel bien dégagé, en direction de Dinan, deux avions qui décrivaient de grandes courbes, montaient et descendaient. Cela dura quelques minutes. J'avais pensé que ces aviateurs se livraient un combat aérien. Nous étions en guerre. D’où j'étais je ne percevait aucun bruit. Puis plus rien. Je ne les revis plus.

En fin d’après-midi , je suis rentré à la maison avec mon troupeau. Des camarades sont venus me raconter qu'un avion était tombé pas très loin de chez nous et qu'ils prévoyaient de se rendre sur les lieux. Un voisin Albert Olivier savait où il était. Nous sommes donc partis tous ensembles. Il y avait Victor Rehel 19 ans, Marie Ange Fairier 14ans, Emile Benoit 15 ans, Albert Olivier 16 ans et moi-même, j'étais le plus jeune, j'avais 13 ans. Nous avons parcouru la campagne sur environ 8 à 900 mètres. En approchant de la prairie où était tombé cet avion, nous avons progressé prudemment. En arrivant au talus, les allemands qui nous avaient sans doute entendu, ont surgit et ont commencé à tirer en l'air sauf un qui à abattu mon chien au moment où il arrivait au sommet de ce talus. Nous avions très peur. Un groupe de camarades qui nous suivait à plusieurs centaines de mètres derrière nous, entendant les tirs, s'enfuit en courant. Les soldats nous firent signe d'avancer vers eux et de mettre les mains en l'air. Ils nous ont fouillé et nous ont fait allonger sur le sol, face contre terre. Ils avaient déjà arrêté François Delamotte qui s'était rendu sur les lieux, juste après la chute. Nous les entendions parler, ne comprenant pas ce qu'ils disaient. Ils étaient nombreux. Un vieil homme qui passait avec des enfants dans un chemin au bout de la prairie fut arrêté. Après bien des discussions, ils le laissèrent continuer son chemin en compagnie des enfants. Il s'avère que ce Monsieur était Monsieur Latimier qui revenait de Plélan le Petit. J'entendais mais ne voyais pas la scène  étant donné que j'étais allongé sur le sol. Notre position était des plus inconfortables à cause de l'humidité sur l'herbe, sachant que la pluie s'était mise à tomber fortement depuis un moment. La nuit arrivait. On reçut l'ordre de nous lever. On rejoignit la brèche du champ pour ensuite commencer une marche dans le charroi voisin en direction de Saint Méloir.

Il faisait bien nuit et la pluie tombait toujours. Nous étions la veille de la Toussaint. Je me rappelle avoir perdu une de mes chaussures dans la boue du chemin. Il me fallut finir ainsi ce parcours de plus d'un kilomètre qui nous amena dans la cour du château de la Ville Rue. Nous étions tous les six dans un coin de cette cour. Les allemands nous ordonnèrent de nous allonger de nouveau face contre terre. C'était très dur à vivre. Au bout d'un long moment, ils nous dirent de nous relever et d'embarquer dans un camion. Le camion démarra après que des soldats en arme soient montés avec nous à l’arrière. Le gradé allemand qui avait ordonné notre arrestation était monté à l'avant avec le chauffeur. Ce gradé était très grand, sec, très rigide. Nous ignorions où ils nous emmenaient. Après une bonne demi-heure de trajet, le camion s’arrêta à la Kommandantur de Dinan située rue de Brest. On en descendit et l'on nous emmena dans la salle de garde où l'on nous fit asseoir sur des bancs près du mur. A tour de rôle nous fûmes interrogés. Un des officiers parlait Français. Ce gradé vint parler avec celui qui avait procédé à notre arrestation. Le ton était très haut. Nous ne comprenions pas ce qu'ils se disaient mais on savait que cela ne plaisait pas au commandant. Celui-ci ordonna au gradé, sur un ton très ferme, de se mettre au garde à vous, face contre le mur. Il resta ainsi pendant toute la durée de notre interrogatoire. Lui reprochait on peut être d'avoir agi ainsi. Après cet interrogatoire, nous étions reconduits dans la salle de garde. Après un long moment passé en ce sinistre lieu, 6 agents du commissariat de Dinan vinrent nous chercher. Ils nous passèrent les menottes à chacun d'entre nous. L'officier allemand parlant Français me voyant menotté, ordonna immédiatement que l'on me les enlève, uniquement à moi. On rejoignit ainsi à pied, le poste de la police qui se trouvait à la mairie. Il était tard. On avait faim. Mis dans une salle, on dormit allongés à même le plancher. C'était très dur.

Le lendemain matin avant de repartir à la Kommandantur pour subir un nouvel interrogatoire, on nous donna un café. Je n’avais toujours qu'une chaussure et un policier m'apporta une paire de chaussons. Mon interrogatoire fut difficile car l'officier qui m'interrogeait subitement posa son pistolet sur ma poitrine. J'eu très peur. Voulait-il m'impressionner ? Je ne sais pas. Les allemands contactèrent le maire de Plélan le Petit à notre sujet. Ce dernier s'était porté garant de nous, certifiant que nous n'étions pas des terroristes. L'officier s'adressa à nous, nous disant que allions être libérés et que nous pourrions rentrer chez nos parents. Effectivement notre libération fut effective en fin de matinée du lundi 1er novembre 1943. Nous sommes partis tous les 6 à pied remontant la rue de Brest, vers Plélan. En passant devant la boulangerie Martin à l'aublette en Quévert, Monsieur Delamotte acheta du pain. Il lui restait de la monnaie dans ses poches. Cela nous réconforta car nous avions grand faim. Notre groupe parti, toujours à pied, sur la route de Plancoët car il était interdit de passer aux abords du camp d'aviation, les routes étaient gardées. On prit donc la direction du bourg d'Aucaleuc. Après l'avoir traversé nous nous sommes dirigés vers la route nationale Dinan Lamballe.

Mon père avait été prévenu de notre libération et décida de faire un bout de chemin à notre rencontre. Il avait pris notre voiture à cheval. Arrivé sur la butte de Vaucouleur il s’arrêta sur le côté de la route en nous apercevant au loin. Il était environ 14 heures. Notre cheval se mis à hennir sans arrêt, tout le temps que nous  avons parcouru la distance qui nous séparait de lui. Je le caressais à mon arrivée et il cessa ses hennissements. C'était un beau cheval postier breton très fin que nous appelions ''Blond'', ceci dut à la couleur de sa robe. J'ai toujours pensé à cela, trouvant cette manifestation de sa part très curieuse. Nous sommes tous montés dans la voiture. A Plélan, nous sommes passés devant l'église où les gens rentraient aux vêpres de la Toussaint. Nous étions bien heureux de retrouver notre village et nos familles. Dans les jours qui suivirent, les allemands vinrent démonter et récupérer la carcasse de l'avion. Avec un ami, toujours plein de curiosité, mais à distance, nous sommes montés à tour de rôle dans un pommier pour voir ce qu'ils faisaient. Nous avions étés alertés par les bruits des masses qui frappaient les parties métalliques. Pour reboucher le trou causé par la chute de l'avion, ils réquisitionnèrent des hommes du quartier. L'un d'eux était mon cousin Joseph Haquin qui me dit plus tard qu'il avait enterré le cadavre de mon chien dans le trou.

Jan gert von tangen prise jack
La prise jack du casque de Jan Gert a été retrouvée sur les lieux du crash

Le rapport de mission du Lieutenant Cliffton Mog qui, rappelons-le, était son coéquipier, ne mentionne absolument pas d'éventuels tirs dont ils auraient été la cible, ayant lui-même visionné le site du crash de son camarade avant de prendre la décision de retourner vers sa base. Un  élément nouveau nous est rapporté par monsieur Robert Buard.  Son père racontait qu'il avait vu, ce dimanche d'octobre 1943, cet avion qui passait à basse altitude près du village du "Tertro" en Saint Méloir des Bois et qui laissait derrière lui une traînée de fumée ''celui-là ne va pas aller bien loin '' avait-il pensé. Un autre témoignage nous est rapporté par monsieur Joseph Jouffe indiquant que ce dimanche après-midi de 1943 il gardait les vaches dans une prairie du village de "La Lieuraie", et qu’ à ce moment-là il conversait avec sa tante madame Marie Jouffe, quand soudain ils ont vu passer au-dessus de leur tête un avion qui volait très bas et se dirigeait vers le bois de "la Ville Rue". Aussitôt ils avaient entendu un grand bruit sourd occasionné par la chute de cet avion. En fin d’après-midi, les allemands procédèrent à l'arrestation de 6 jeunes hommes qui s'étaient rendus sur les lieux du crash. Aujourd'hui au vu des recherches effectuées concernant la chute du Mustang du 2nd Lt. von Tangen, nous pouvons formuler l’hypothèse fort probable que cet aviateur aurait été mortellement touché lors de son passage près de l'aérodrome de Dinan-Trélivan.


Le Mustang avant sa chute traversa l'espace aérien entre les villages de la Lieurais et du Tertro.


Aérodrome de Dinan Trélivan avant-guerre.


Terrain d'aviation de Dinan, entre le soldat et en arrière-plan, une pièce de Flak.

En effet à partir de juillet 1943, cet aérodrome de seconde catégorie, codifié B 28 XII (commandement à Laval) était occupé par la 1ère et 3ème section du leichte Flak Abteilung 912, totalisant 6 pièces de 20 mm dénommées Flak 30 ou 38. L'effectif était de 63 hommes auquel on pouvait rajouter les 77 soldats de la Fliegerhorstplatzkommando B 28/XII, ces derniers équipés de 5 mitrailleuses lourdes. Sans doute prévenus de la présence d'avions alliés sur Dinan les serveurs de ces pièces d'artillerie se seraient mis rapidement en alerte à leur poste de tir. L'avion laissait une traînée derrière lui. Ce n'était pas de la fumée mais le réservoir de glycol (liquide de refroidissement ) percé par les obus (voir témoignages sur ce Mustang P-51 touché près de Morlaix 29 le 9 aout 1944), s'était mis à fuir, et avec la vitesse laissait cette trace derrière lui. Le réservoir de glycol de grande contenance était placé sous et en arrière du cockpit, ventilé par une bouche d'aération bien visible en dessous du Mustang. S'il y avait eu un incendie dans le moteur, lors du crash, l'ensemble aurait pris feu vu le volume d'essence restant dans les réservoirs.

Mustang p51 allison engine

Ce ne fut pas le cas. Le 2nd Lt. von Tangen n'émis aucun message. Dans ce même cas, lorsqu'ils étaient touchés, les aviateurs prévenaient leurs coéquipiers et prenaient immédiatement de l'altitude pour ainsi pouvoir s'éjecter de leur cockpit et sauter en parachute. Malheureusement ce ne fut pas le cas pour l’aviateur Norvégien. L'avion en perdition parcouru ainsi une dizaine de kilomètres. Le leader ne se rendit pas compte de cette brève attaque car il volait plus au nord à environ 1 kilomètre 800 de son coéquipier. Le 2nd lieutenant von Tangen fût enterré par l'occupant le 3 novembre 1943 dans le carré Anglais du Cimetière de Dinard. Ces derniers signalèrent sa mort et son lieu d'inhumation au Comité international de la Croix Rouge. Début septembre 1946 une délégation de la Force Aérienne Royale Norvégienne accompagnée de la mère du pilote se rendit à Dinard pour l'exhumation et le transfert vers le cimetière de Vestre gravlund à Oslo Norvège. 

Cimetiere vestre gravlund oslo norvege
Cimetière Vestre gravlund à Oslo

LETTRES D'ERNA VON TANGEN À SON FRÈRE JAN GERT.
Année 1943. La dernière lettre évoque son départ vers la Suède.

  

Le 24 mars 1943. Mon très cher petit frère.
Cela fait maintenant 6 mois depuis votre dernière lettre. Ça fait une éternité. Nous vivons dans l'attente de votre courrier. Mes pensées sont toujours avec vous. Votre absence ne nous quitte jamais. Vous nous manquez beaucoup. Nous avons une pièce vide qui ne peut être occupée. Moi, je vais bien. Alors pourquoi être malheureuse ? C'est une vie pourrie que nous avons, que des êtres humains ont construit pour nous.
A quoi sert toute cette douleur et toutes ces pertes. Inutile de vous dire que je vais me battre jusqu'au dernier souffle pour notre cause, cette cause que vous connaissez si bien. Battez vous pour tous ceux que vous aimez et mourir si vous le devez. C'est la devise pour laquelle nous vivons.

Le 8 juillet 1943. Mon cher petit frère.
Il n'y a pas si longtemps, deux mois environ, j'ai reçu une lettre de mon ami Suédois Tore, qui vous a rencontré. C'était à la fois merveilleux et incroyable de recevoir de vos nouvelles. Vous connaissez mes intentions. Il se peut que nous nous rencontrions d'ici peu. Il y a toute sorte de problèmes ici en ce moment, vous êtes bien au courant. J'aurais du m'enfuir il y a bien longtemps, mais il n'y a eut que des problèmes pour m'en empêcher. Je suis folle d'impatience de vous revoir, j'ai le vertige juste d'y penser. Vous n'imagineriez pas le printemps que nous avons eu cette année et si vous deviez faire un petit voyage jusqu'à Riis vous seriez accueillis à la porte du jardin par le parfum écrasant du jasmin. Vous verrez comment les pruniers en espalier ont poussé jusqu'à la fenêtre du salon, donc quand le moment sera venu, nous serons en mesure de simplement tendre la main et de cueillir. Sur la pelouse, derrière la maison, les pommes de terre sont déjà en fleurs et vous seriez étonné de voir à quel point le potager à grandi. C'est du bonheur de regarder tout pousser et changer chaque jour. Maintenant je suis presque jardinier professionnel. Les pois, les haricots et les carottes poussent à merveille cette année et le chou, le céleri et les poireaux poussent bien où se trouvait le compost. Nous avons quelque chose en plus dans le jardin depuis votre dernière visite, un poulailler avec quatre petits poussins très mignons. C'est tellement amusant. Dans nos parterres à rosiers, il pousse maintenant des choux et ça a l'air un peu bizarre. De l'autre côté de la clôture nous avons quelque chose de beaucoup moins agréable, les Allemands qui hurlent et crient chaque fois que nous nous montrons dans notre jardin. La maison des Haugens a été réquisitionnée. La maison sur le coin appartenant au médecin a également été prise pour ensuite être rendue libre quelques temps après. Nous étions aussi dans la ligne de tir et nous étions très inquiets mais pour l'instant, on nous a laissé tranquilles. Maintenant entrez dans la maison. Vous savez que c'est toujours aussi agréable en été, quand toute la maison est ouverte et que le vent joue avec les rideaux du salon. Il y a des fleurs partout surtout autour de vos photos et de la photo de papa sinon rien n'est changé depuis votre départ je pense qu' à votre retour, vous trouverez maman changée. Je trouve qu’elle a vieilli depuis le décès de papa. Jorgen aide un ami dans son entreprise, la plupart de ses ouvriers sont en prison ou font du travail forcé pour l’occupant. Jorgen n'a pas encore été appelé. Mon cher garçon, vous savez que nous pensons toujours à vous. Mère et Agnès vous envoient tout leur amour. Un millier de câlins et baisers de votre petite sœur.

Le 28 juillet 1943. Mon très cher frère.
Maintenant je suis arrivée ici (Suède), où la plupart de nos concitoyens finissent, tôt ou tard. Les circonstances on fait que je devais partir, je m'étais impliquée un peu trop profondément dans une infiltration. Deux jours plus tard j'ai pris la décision de fuir. Les conditions de vie à la maison sont terribles. Cela dure depuis trois longues années bien tristes. Dans cette vie, j'ai rencontré des gens fantastiques et je suis contente d'une telle solidarité entre nous. Ces gens m'ont donné l'assurance que tous ensemble nous surmonterons les difficultés qui nous attendent. J'ai été avec Smit-Kielland aujourd'hui. Mais aussi avec d'autres personnes avec lesquelles il n'y aura pas de problème pour faire quelque chose. Mon cerveau fonctionne en permanence et j'avoue manquer de sommeil. C'est mon premier jour à Stockholm et je peux dire que nous y sommes bien accueillis. C'était affreux de dire au revoir à notre mère. Elle a été si courageuse, si brave tout le temps et je ne peux oublier ses larmes sur son visage. Jorgen est bon pour nous tous. Il aspire a faire quelque chose de positif. Il ne cassera pas la promesse qu'il a faite à père sur son lit de mort de ne pas laisser notre mère. C'est un terrible sentiment d'être un hors la loi dans son propre pays. J'ai du voler pour survivre. Ici à Stockholm, il y a une surabondance de tout, du lait, du miel. Dans les rues des réverbères, des vitrines pleines de toutes sortes de provisions. Imaginez-vous ce premier jour comment je me suis farci des gâteaux et du chocolat. Ici c'est le temps de paix. Les gens ne comprennent pas ce qui nous arrive et ignore la situation dans laquelle est la Norvège. Ils pensent juste que nous exagérons quand nous décrivons des choses terribles. Mais l'argent ne dure pas longtemps ici et je crains que ce ne sera pas facile. En ce premier jour, je suis accueillie au château Kjesaeter. C'est une vraie expérience. Tous les réfugiés reçoivent un accueil merveilleux. Cette lettre est un gâchis, mes pensées vont dans tous les sens et il est déjà minuit. J'ai une longue journée devant moi demain. Je devrai courir d'un bureau à l'autre pour avoir un permis de séjour. Mère vous envoie son plus profond amour.
Jorgen et Agnès aussi. En dehors de cela personne ne connaît mon départ. Écrivez-moi, s'il vous plaît, soit à la légation royale Norvégienne, ou à Madame Elin Hansson. J'ai oublié de vous dire que je vous ai envoyé un télégramme aujourd'hui. Prenez soin de vous et écrivez moi des que vous le pouvez. Beaucoup, beaucoup d'amour.

Erna

 

Jean Michel MARTIN. Daniel DAHIOT. Yves JOUAN. ABSA 39-45 - Septembre 2013.

Remerciements à :
- Monsieur John Corbett Milward pour l'envoi de photos et éléments biographiques familiaux.
- Madame Odette Buard, Monsieur Pierre Fleury, Monsieur Albert Olivier, Madame Marie Le Ménager, Monsieur Joseph Jouffe, Monsieur Robert Buard.
- Madame Hanne André Danielsen, attachée de défense Ambassade de Norvège à Paris

- Yves Jouan, membre ABSA 39-45, pour la réalisation du plan des dernières minutes de vol.
- Madame Véronique Le Sergent Veyrié pour son travail de traduction.
- Monsieur David Tye recherche et détection et Monsieur Colas pour l'autorisation de prospecter le lieu du crash.
- Monsieur Michel Monfort retouche photographique.
- Monsieur Vierron.
- Madame Claudine Pigot pour son aimable autorisation à publier le croquis réalisé en 1942 par sa tante Madame Yvonne Jean-Haffen sur la Kommandantur de Dinan située au 29 rue de Brest.
- Madame Florence René, Service des musées de la ville de Dinan.
- Jean Marie Guillou (Profil Mustang IA).

- Au site : Norvégian merchant fleet 39 45, Madame Siri Lawson.
- Yannig Kerhousse pour avoir communiqué les renseignements sur l'unité allemande occupant l'aérodrome de Trélivan à partir de Juillet 1943.
- Monsieur Denis Laffont, auteur du livre ''L'été des moissons rouges'' autorisant la publication d'une photo de l'aérodrome de Trélivan.
- Mesdames Sarah Dixon et Linda Jackson pour la traduction des lettres adressées par la famille.

Source documents : ORB N°168 Squadron RAF - Dossier personnel du 2nd lieutenant von Tangen, Ministry of Defense, Air Historical Branch - N° 168 Squdron 1942-1945 - Phil H. Listemann

Un grand merci à toutes les personnes rencontrées pour la réalisation de cette biographie rédigée en Mémoire du Lieutenant von TANGEN

 

CIRCUIT DE REFROIDISSEMENT DU MUSTANG Mk IA


Systeme refroidissement radiateurs mustang p 51

QUELQUES PIECES DE MUSTANG Mk IA


Colliers inox retrouvés

 
 
 
 
 

 

Sonde de température du moteur

 
Pièce de monnaie française de 2 Francs de 1943 retrouvée sur le lieu du crash

 

BIOGRAPHIE : JAN GERT VON TANGEN
Informations biographiques communiquées par monsieur John Corbet Milward, madame Kristin Corbet Milward, monsieur Jorgen Von Tangen. Neveux et nièce du Sous-Lieutenant Jan Gert Von Tangen.

Jan gert von tangen 2
Jan Gert von TANGEN

Mon père Roger Corbet Milward était pilote dans le Fleet Air Arm-Royal Navy pendant la seconde guerre Mondiale. Il avait combattu sur plusieurs terrains d'opérations. Il prolongea son service pendant quelques années après cette guerre. Il était diplômé de l'école de pilotage la plus reconnue de l'empire britannique et il était familier des critères de performances sur différents types d'appareils à hélice et après-guerre, des avions de chasse à réaction. De la correspondance familiale, je sais que Jan Gert fut nommé sous-officier lors de sa formation au Canada et qu'il y sera nommé aussi pilote de chasse, ayant satisfait aux épreuves.

A son arrivée en Angleterre en 1943, au retour du Canada, il rejoignit un escadron de la Royal Air Force basé près de Londres. Jan Gert fut tué lors de sa première mission opérationnelle en territoire occupé le 31 octobre 1943, une mission de reconnaissance photographique cherchant à réaliser des clichés d'ouvrages importants, ceci en préparation de l'invasion maritime l'année suivante. Il faut noter que son chef de mission signala n'avoir pas rencontré de tirs d'artillerie anti-aérienne.

La théorie soutenue par mon père, mais n'ayant pas de preuve, fut qu'en tant que pilote Jan Gert n'était pas relativement expérimenté, d'autant plus qu'il volait sur un aéronef à hautes performances. Il disait que peut-être, trop occupé à prendre les photos et volant trop près du sol, il aurait pu perdre le contrôle de son avion. Ce que je sais c'est que mon père n'a pas cherché à en savoir plus. Il ne voulait pas contrarier ma mère et ma grand-mère, toutes deux très affectées par sa disparition. En 1946 la mère de Jan Gert fit le voyage en France pour récupérer le corps de son fils et l'inhumer dans le caveau familial au cimetière d'Oslo.

Je dois ajouter que mon grand-père disparut à un âge relativement précoce au cours de la première partie de la guerre. Mon autre oncle, père de mon cousin Jorgen, après avoir été incarcéré et condamné à mort par l'occupant, sauva sa vie de justesse. Ma mère arrêtée par la Gestapo, réussi à s'enfuir en Suède puis au Royaume Uni. En d'autres termes, les membres de ma famille, à la fin de la guerre avaient hâte d'enterrer tout ce passé difficile plutôt que de chercher à trouver des réponses.

Pourquoi Jan Gert avait-il perdu la vie au cours de ce vol ? Le témoignage de Madame Buard nous sera très précieux. Jan Gert était né en 1917. Il était le plus jeune enfant de Georges et de Petra Von Tangen. Georges, notre grand père avait été élevé à Paris où son père Norvégien expatrié était dans les affaires. Il fut reçu au baccalauréat français, puis fit des études de droit à l'université d'Oslo, après quoi, il rejoint l'Office Suédois des affaires étrangères. A cette époque la Norvège et la Suède étaient unies. L'indépendance des deux pays fut proclamée en 1905. Georges fut ensuite affecté au gouvernement Norvégien où il joua un rôle important dans la création du nouveau service des Affaires étrangères. Pendant la première Guerre Mondiale, il fut un dirigeant clé du gouvernement chargé du Lend Lease de la flotte Norvégienne au Royaume Uni. Il était capable de conduire des négociations en Français et en Anglais.

Mon grand-père a fini sa carrière comme secrétaire de cabinet, un travail qui constituait à être secrétaire particulier du roi mais aussi secrétaire du gouvernement. Jan Gert était né dans une maison riche. Il a passé le début de sa vie à Bygdoy, un quartier résidentiel chic en banlieue d'Oslo, non loin du centre-ville, avant de passer à une maison familiale beaucoup plus importante à Trostrudvieen vers 1925. Jan Gert termina ses études universitaires en 1936. Il opta pour une carrière dans le commerce et passa quelques temps à Londres puis ensuite à Oslo où il acquit la réputation d'un gars un peu casse-cou et avec un très bon œil pour les jolies filles. Lui et sa sœur Erna étaient très liés. Ils ont passé ensembles des vacances très heureuses avec des amis d'école à Nedre Nes une grande ferme non loin d'Oslo appartenant à la famille Hvinden. Nils Hvinden, l'aîné était un grand ami de Jan Gert. Arndt le second garçon, était pilote dans la RAF et participa à la Bataille d'Angleterre. Il fut abattu une fois mais réussit à s'en sortir. Le plus jeune Lasse Hvinden fut le courrier d'Erna dans la résistance Norvégienne.

Jan Gert avait grandi dans un environnement international et libéral. Il y avait beaucoup de va et vient, à la fois chez ses parents à Oslo mais aussi dans sa famille et chez ses amis. La politique et l'économie étaient au cœur des nombreuses conversations, surtout pendant les bouleversements de l'entre-deux guerres. Quand la Russie envahit la Finlande en 1939, Jan Gert répondit à l'appel du Général Mannerheim. Peu de temps après, il fût remercié par l'état Finlandais pour sa contribution. Les hostilités cessèrent en 1940. Le jour même de son retour à Oslo, l'Allemagne envahissait la Norvège. Il réintégra son régiment, participant à quelques escarmouches au nord d'Oslo pour aider à ralentir la progression des troupes allemandes en attendant l'évasion de la famille Royale Norvégienne et du gouvernement qui fuyaient le pays et se dirigeaient vers la Grande Bretagne à bord du HMS Dorsetshire emmenant avec eux la réserve d'or de la banque centrale. Jan Gert s'évada sur un bateau de pêche à travers la mer du nord vers le Royaume Uni en 1941. Il rejoignit rapidement Muskoka près de Toronto au Canada qui était le point de rencontre de milliers de jeunes Norvégiens voulant servir dans la Force Aérienne Norvégienne au sein de la RAF. Certains se destinaient à devenir pilotes, d'autres mécaniciens aviation. Le groupe était dirigé par le très charismatique officier Ole Reistad. Reistad reconnu l'expérience de Jan Gert acquise en Finlande. Il reconnut ses qualités d'orateur. Peu de temps après, il fut confirmé volant et fut nommé pilote. Il avait obtenu ''ses ailes'' (brevet) en 1942. Toujours en 1942, Jan Gert fut envoyé rejoindre la diaspora Norvégienne résidant dans le Midwest Minnesota aux USA où il prononça un discours très remarqué, discours pragmatique incitant à récupérer des fonds pour sauver le pays. Dans sa démarche, il fut aidé par Reidstad, mais aussi par un membre de sa famille Georg Vetlesen à qui il aurait donné des instructions pour l'effort de guerre Norvégien. Erna, la sœur de Jan Gert indiqua que Reistad fut tellement impressionné par ses qualités personnelles et pratiques qu'il aurait probablement pu être inclus dans la commission de reconstruction de la Norvège après la fin de la guerre. Hélas le Dimanche 31 octobre 1943 Jan Gert connu un destin tragique.

 

FLYING OFFICER DESMOND ALAN CLIFTON MOGG

Mustang mk ia fd488
Mustang Mk IA FD488 piloté par le F/O Desmond Alan Clifton Mogg le 31 octobre 1943

Le Flying Officer Desmond Alan Clifton Mogg était né le 7 septembre 1915 au Bois de Chorley dans le comté du Hartfordshire à 30 kilomètres au Nord-Ouest de Londres. En 1940, vu la situation dans laquelle se trouvait son pays l'Angleterre et vu la situation en Europe, comme beaucoup de ses jeunes compatriotes, il décida de s'engager dans la Royal Air Force. En 1941, il rejoignit les États Unis d'Amérique, retrouvant plusieurs centaines d’élèves cadets de la RAF, arrivés comme lui pour une formation de pilote sur la base de Darr Aéro Tech d'Albany où il séjourna du 31 août au 4 novembre 1941.


Le Flying Officer Desmond Alan Clifton Mogg est le deuxiéme en partant de la gauche dans la rangée du milieu

Il fut affecté ensuite au USAC Training group. Centre d’entraînement des élèves pilotes à Cochran Field à Macon en Géorgie USA. Il y demeura jusqu'au 10 janvier 1942. Il fut ensuite affecté au Groupe d’entraînement avancé de Dothan en Alabama ou il obtint son diplôme de pilote le 6 mars 1942. Vingt jours plus tard, il quittait les USA ou il avait passé 7 mois en formation. De retour en Angleterre, il rejoignit le Squadron 168 basé à Bottisham près de Cambridge. Son engagement fut total. Il participa à de nombreuses missions au-dessus du territoire occupé. Son état de service nous renseigne sur les multiples types d'appareil qu'il pilota au cours de la guerre et indique qu'il effectua 874 heures de vol en mission de combat.



Devant Boulogne sur Mer, début 1944, le Mustang est piloté par le F/O Clifton Mogg.
Sur la photo ci-dessus, il est la cible de la Flak qui cherche à l'atteindre.
On voit les départs de feu de la Flak sur la gauche depuis un bateau artillerie-Träger.

Le dimanche 31 octobre 1943 il était le leader d'une mission de reconnaissance photographique ''Poplar'' au-dessus de la région de Dinan en Bretagne. Son coéquipier et ami était le Lieutenant Jan Gert von Tangen, pilote Norvégien comme lui de la RAF, ce dernier effectuait sa première mission au-dessus de la France, il connut un destin tragique. Il fut abattu par une batterie de Flak dans la région de Dinan et vint s'écraser à bord de son avion Mustang sur Ia commune de Saint Méloir des Bois.

Dans le livret militaire du Flying officer Clifton Mogg à la date du 31 octobre 1943 nous retrouvons écrit de sa main, ''Poplar near Saint Malo. Jan shot down by Flak''.  Etant donné les circonstances, où son coéquipier ne l'avait pas appelé par radio avant de tomber au sol, et après recherche, il en fut déduit que ce jeune pilote Norvégien avait été victime de la redoutable défense anti-aérienne allemande.

Dfc distinguished flying cross

Le Flying Officer Clifton Mogg est décédé à Fulham à Londres en 2007 âgé de 92 ans. Il était titulaire de la DFC Distinguished Flying Cross, haute distinction pour les aviateurs, de la médaille Star 1939-1945, de la médaille Air Crew Europe Star et de la War Médal 39-45.


Merci à Candy sa fille pour nous avoir communiqué renseignements et photos de son père.

Merci également à Bonnie & Clark Productions (Saint-Brieuc) 

 

LA PRESSE EN PARLE

     • Article du 27 août 2023 (Ouest France)

     • Article du 1er octobre 2013 (Ouest France)

 

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