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21 avril 1944
Vickers WELLINGTON Mk X
LN896 (code FU-?)
Bourbriac, "Kerbars/Kerlosquer", Park Fanch Koz (22)
(contribution : Gilles Billion, Dinard - Philippe Dufrasne)
Equipage (28 OTU)
Flying Officer (pilote) BRENNAN HAROLD JAMES
Royal Canadian Air Force, évadé
Flying Officer (navigateur) HOUSTON ALFRED J.
Royal Canadian Air Force, évadé
Flight Sergeant (bombardier) TROTTIER ERNEST J.
Originaire de Fenelon Falls, Ontario, décédé le 26 novembre 1995
Royal Canadian Air Force, évadé
Sergeant (Opérateur radio / mitrailleur) KEMPSON, JOHN, 20 ans
Royal Air Force Volunteer Reserve
XVIII. F. 2. BAYEUX WAR CEMETERY
Sergeant (Mitrailleur supérieur) DICKSON ROGER J.
Royal Canadian Air Force, évadé
Sergeant (mitrailleur arrière) ELDER ANDREW.
Royal Canadian Air Force, évadé
article paru à l'époque sur les retrouvailles de Brennan et Houston
Brennan, Houston, Trottier, Dickson et Elder s'évadèrent à l'aide du réseau Shelburn et furent rapatriés dans la nuit du 12 au 13 juillet 1944 par la vedette MGB 503
(source : site www.conscript-heroes.com)
L'HISTOIRE
Bourbriac, vendredi 21 avril 1944, "Kerbars/Kerlosquer".
Chute du bombardier Anglais de la Royal Air Force , un Wellington Mk X LN896, codé FU-? Opération ‘’Nickel’’ effectuée par le 93th Group du No.28 Operational Training Unit RAF (Stagiaires en confirmation de vol, en attente d'être affectés à un escadron de bombardement). C’est une mission nocturne de largage de tracts sur la ville de Blois dans le Cher (ces tracts avaient pour but d' informer la population française de ne pas rester sur les routes dans les mois à venir).
L’équipage est Anglo-Canadien dirigé par le Flying Officer Brennan James Harold, 22 ans, fonction de pilote de nationalité Canadienne, né le 23 mars 1922. Profession dans le civil : Technicien en téléphonie. Il résidait 17 Glenelg Street East à LINDSAY Ontario au Canada. Cette mission nocturne était la première pour tous les membres de l'équipage y compris le pilote de ce bombardier bimoteur. A leur retour les 6 aviateurs devaient se voir confirmés pour d'autres missions au sein d'un escadron de bombardement opérationnel.
Rapport d'évasion du Flying Officer Brennan rédigé le 14 juillet 1944 à son retour en Angleterre.
En ce 20 avril 1944 nous avons décollé à 21 heures 18, du terrain de la RAF Wymeswold airfield situé dans le Comté de Leicestershire. La mission, baptisée opération “Nickel” (nom de code pour les raids de largage de tracts de propagande - ce type de raid a été souvent effectué par des équipages de bombardiers comme stagiaires (OTU) à la fin de leur formation avant de se joindre à un squadron opérationnel), consistait à larguer des tracts sur la ville de Blois en France. L'objectif ayant été atteint, sur la route du retour, j'ai interrogé plusieurs fois mon navigateur, le pilote Officer Houston pour qu'il me donne le cap vers notre base. Ce dernier n'arrivait pas à me donner précisément la route à suivre. Nous étions perdus. J'ai demandé à mon navigateur à nouveau, d'interroger la balise de radio guidage anglaise. Nous avons eu un contact rapidement. Vraisemblablement, il s'avère que nous avons été interceptés par une station allemande dont la mission était de dérouter les appareils alliés. Je ne me suis pas aperçu de cela et ai pris la direction qu'elle me donnait. Nous étions sur un cap plein ouest en direction de la pointe bretonne. Au moment ou j'ai appelé, je me croyais dans le nord de la France. Après avoir volé un bon moment, j'ai consulté ma jauge de carburant et là j'ai vu que mes réservoirs s'épuisaient rapidement. J'ai compris qu'il ne serait pas possible de rejoindre l'Angleterre. La situation devenait préoccupante et angoissante. Peu de temps après, au sol, nous avons aperçu un grand feu qui nous semblait être à bord d'un bateau. J'ai décidé de descendre pour voir ce qu'il en était et essayer de me repérer. Je savais que nous étions toujours dans l'espace aérien français. Cet incendie nous apparut alors comme celui d'une grande maison. (Nous apprendrons par la suite lors de notre évasion, qu'il s'agissait de l'incendie d'un bâtiment de la caserne de Guingamp occupée par les Allemands et qui abritait des munitions. Incendie allumé par un seul homme, patriote résistant de la région qui avait voulu commettre cet acte le jour de l'anniversaire d'Hitler). J'ai ensuite remonté l'appareil à 6000 pieds (1800 mètres). J'ai informé l'équipage de la situation dans laquelle nous nous trouvions. J'ai aussitôt demandé à chacun de s'équiper de son parachute, de vérifier les sécurités et d'évacuer rapidement l'avion. Je me suis assuré qu'ils avaient tous sauté et à mon tour je me suis lancé dans la nuit noire au-dessus de la région de Bourbriac. Au cours de ma descente, j'ai pu voir le crash de mon avion et le feu qui s'en suivit. J'ai su après qu'il s'était écrasé sur une petite colline près de cette ville et qu'il s'était cassé en plusieurs morceaux.
Lieu du crash, "Kerbars/Kerlosquer" - Park Fanch Koz, qui veux dire en Breton : Champ du vieux François
Je suis arrivé au sol sans encombre, ne sachant vraiment pas où j'étais. J'ai caché aussitôt mon parachute, ma mae west (bouée de sauvetage que nous avions autour du cou) dans des buissons. Je suis parti ensuite dans l'obscurité, à pied à travers la campagne. J'ai marché jusqu'à 7 heures du matin le 21 avril. J'ai ensuite contourné un petit village et me suis caché dans un champ de chardons jusqu'à 16 heures. Ensuite j'ai repris la marche et suis arrivé à Bulat Pestivien, où j'ai rejoint l'église. J'y suis rentré et ai rencontré le prêtre de cette paroisse. Malgré mes efforts à parler Français, il me fit comprendre qu'il ne parlait que le breton. J'ai quitté aussitôt l'église. La faim me gagnait. J'ai rencontré ensuite un fermier aimable qui m'a invité à manger et à boire. Il m'a ensuite caché dans des fourrés sur une colline. Il s'est arrangé pour que des gens de la résistance me récupèrent et organisent mon retour.
Rapport de Houston Alfred James, 31 ans Flying Officer pilote et navigateur, né le 14 novembre 1913. Engagé dans le RAF le 8 juin 1942. De nationalité Canadienne, profession, représentant de commerce, James résidait au 12 Abott Avenue à Toronto dans l' Ontario Canada.
Nous étions à court de carburant. Le lieutenant Brennan nous a donné l'ordre de sauter en parachute, ce que j'ai fait au-dessus de Mael Pestivien aux environs de minuit 15, le 21 avril 1944 . J'ai atterri dans un champ labouré. Malgré l'obscurité, j'ai réussi à cacher mon parachute, ma mae west et mon harnais. Je suis parti aussitôt à pied en direction du sud-est (la consigne donnée aux aviateurs avant de quitter l'avion était de s'orienter au sud-ouest dès qu'ils avaient touché le sol, pour se regrouper d'une part mais aussi de prendre la direction des réseaux d'évasion vers le sud, vers l'Espagne. Aux environs de 9 heures, je me suis réfugié dans un champ où j'ai pu dormir jusqu'à 11 heures. A mon réveil j'ai aperçu deux femmes âgées qui étaient à proximité d'une ferme. Je me suis approché d'elles et leur ai donné immédiatement mon identité. Elles m'ont offert un verre de vin et m'ont dirigé vers la route de Callac. J'ai marché une dizaine de kilomètres, quand j'ai rencontré à nouveau deux autres femmes à qui je me suis adressé en leur précisant à nouveau mon identité. Elles m'ont dit de ne pas aller à Callac car la ville était infestée d'Allemands. Je suis donc revenu sur Bulat Pestivien et ensuite j'ai pris la route de Saint Servais. Dans un petit bois, j'ai aperçu un homme. Je me suis approché de lui et lui ai demandé où j'étais. Il me dit être du groupe des patriotes de la région. Je lui ai dit qui j'étais. Il m'a dit de l'accompagner. Je suis donc parti avec lui, il me cacha en me donnant de quoi manger et boire. Il me dit de rester en place sans me manifester et que l'on viendrait me chercher, mais il ne savait pas quand et que je devais être patient. Je suis resté dans cet endroit jusqu'au lendemain 17 heures. Deux patriotes résistants sont venus me chercher en voiture et nous sommes partis tous les trois vers Mael Pestivien où ils m'ont conduit dans une maison, j'y ai retrouvé notre opérateur radio le Sergent Kempson qui était allongé, grièvement blessé. Le lendemain nous sommes repartis, après avoir placé le Sergent blessé à l'arrière de cette même voiture et nous nous sommes rendus au village de Quodimael (Coat Maël) où dans une maison nous étions attendus. Malheureusement le sergent est mort 3 jours après malgré les soins qui lui avaient été prodigués par les médecins de la région. Dans cette maison j'ai retrouvé le sergent Elder notre mitrailleur arrière. Le sergent Trottier nous a ensuite rejoint.
Octobre 1944 vit le retour au Canada des deux officiers de cet équipage. Les Lieutenant Brennan et Houston, après un long voyage maritime à bord d'un transatlantique arrivèrent d’abord à New York. Ils prirent le train pour rejoindre la gare de Toronto, Canada, où leurs proches les attendaient. Leurs familles avaient vécu l'angoisse suite au télégramme de disparition de leurs fils au cours d'un raid sur la France. Vers la mi-juillet 1944, et un peu tardivement, de nouveaux télégrammes furent envoyés à ces familles pour les informer de leur retour en Angleterre puis au Canada.
Le Flying Officer Brennan fit carrière à la société de téléphonie Canadienne Bell. Il est décédé à l'âge de 90 ans le 31 octobre 2011.
Rapport du Sergent Dickson Roger Jacques, mitrailleur de tourelle supérieure, 20 ans ,né le 2 juin 1924 à Vernon au Canada. Étudiant, il s’engage dans la RAF le 19 juin 1943.
Le 21 avril 1944, je me suis éjecté de notre bombardier aux environs de minuit au-dessus de Pont Melvez en France. J'ai atterri à quelques kilomètres de cette ville. J'ai immédiatement caché mon équipement composé de mon harnais, mae west et parachute bien sûr. Malgré l'obscurité qui régnait, je me suis orienté vers le sud-est. A 7 heures je me suis caché dans des buissons touffus où je suis resté jusqu'à 22 heures 30, tâchant de dormir un peu. Ensuite, j'ai repris la marche toute la nuit. A 7 heures, le 22 avril, je me suis dirigé vers une ferme pour y demander de l'aide. On m'a donné à manger et à boire et ensuite on m'a dirigé vers une autre ferme plus sûre, distante de 6 kilomètres. Dans cette ferme, on m'a échangé mes vêtements contre des habits civils. Les patriotes résistants ont organisé mon voyage de retour.
Rapport du Sergent Trottier Ernest Joseph, bombardier, 22 ans, né le 28 novembre 1922 et ouvrier en téléphonie. Il résidait au 139 Rue West Cornwall Ontario Canada et s’engage dans la RAF le 1er juin 1942.
Dans la nuit du 20 au 21 avril 1944, comme mes camarades, je me suis éjecté du bombardier dont j'étais membre d'équipage. Il était environ minuit, nous revenions d'une mission. J'ai atterri dans un champ à quelques kilomètres de Bourbriac en France. J'ai aussitôt caché tout mon équipement et je suis parti à pied dans l'obscurité vers le sud-est avec l'espoir de retrouver mes camarades, qui eux aussi avaient sauté avant moi. J'ai marché pendant 6 heures et ensuite, fatigué, je me suis caché toute la journée jusqu'à la nuit tombante. J'ai ensuite pris la direction d'une ferme aperçue auparavant. J'ai frappé mais il n'y avait personne. Je suis reparti, très fatigué et ai continué mon chemin au hasard, espérant trouver de l'aide. N'ayant rien trouvé dans mon errance, j'ai continué et le lendemain matin j'ai rencontré un homme qui m'a invité chez lui à prendre un petit déjeuner. Il a contacté deux patriotes qui sont arrivés rapidement à bicyclette. Nous sommes partis vers le village de Quodmael (Coat Maël) en Maël Pestivien où j'ai retrouvé les sergents Elder et Houston. Le Sergent Kempson qui était grièvement blessé était aussi présent. Il décèdera les jours suivants. Ce même jour, nous sommes tous partis avec les résistants vers leur campement situé entre Peumerit et Trémargat. Dans la nuit du 23 avril, le Flying Officer Brennan et le Sergent Dickson nous ont rejoints. Les patriotes organisèrent notre retour vers l'Angleterre le 13 juillet.
C'est au-dessus de ce hameau que fut donné l'ordre d'évacuation du
Wellington dans la nuit du 20 au 21 avril 1944
Rapport du Sergent Elder Andrew, mitrailleur arrière, 22 ans, né le 14 novembre 1922. Profession riveteur, engagé dans la RAF le 19 janvier 1943. Il résidait au 1889 Haro Street à Vancouver au Canada.
Comme mes camarades, je me suis éjecté de notre avion en perdition peu après minuit le 21 avril 1944. Je suis arrivé au sol près du Village de Kerbalen en France. Hélas, mal tombé, je me suis fait une entorse. La première chose a été de cacher mes affaires de vol. Je ne voulais pas être repéré. J'ai quitté aussitôt les lieux et ai commencé une longue marche dans la nuit, malgré mes douleurs à la cheville. J'ai marché jusqu'au lever du jour et me suis caché jusqu'à 10 heures. Le fermier du coin m'a aimablement accueilli, m'a donné à boire et à manger. A midi, un médecin est venu me voir, à la demande du fermier. Il a ausculté ma cheville et m'a fait un bandage. Sur les conseils du fermier, je suis allé me cacher dans un champ proche. J'y suis resté jusqu'à la tombée de la nuit. On est venu me chercher et aussitôt j'ai été dirigé vers une autre ferme où j'ai dormi dans l'écurie avec les chevaux. Le lendemain soir, j'ai été dirigé vers un autre village où dans une maison j'ai retrouvé le Flying Officer Houston et le malheureux Sergent Kempson qui était grièvement blessé à la tête. Le lendemain, les maquisards nous ont dirigés vers leur campement dans la forêt. Ils nous ont ensuite arrangé notre retour par mer.
Le Sergent John Kempson eut un destin tragique, il décédera le 25 avril 1944 vers 6 heures, au Village de Coat Maël en Mael Pestivien. Il était l'opérateur radio du Wellington et à l'occasion mitrailleur de tourelle, il était âgé de 20 ans. Il s'était engagé en 1943 dans les volontaires de réserve de la RAF originaire de Surbiton dans le Surrey en Angleterre. Il était le seul aviateur britannique de cet équipage. Il était le fils de Horace Leopold et Mabel Alice Kempson. En cette nuit tragique pour ces jeunes aviateurs, l'ordre d'évacuer l'avion fut donné au-dessus du hameau de Saint Norgant en Kérien. Comme on l'a vu, les 5 Canadiens atterrirent sans problème aux abords de l'étang du Blavet et près du village de Kerbalen. Le Sergent Kempson avait atterri près du village de Cosquer Jehan en Kérien, son saut s'était passé dans de bonnes conditions mais il avait touché le sol sur des rochers affleurant le haut d'un coteau. Sous l'effet du vent son parachute l’entraîna à la renverse. Il fut projeté sur un rocher où il se fractura le crâne en tombant lourdement. Tôt le vendredi matin, deux femmes du village, aperçurent sur ce coteau proche de chez elles, cette masse blanche, inhabituelle. Elles se rendirent sur les lieux et se rendirent compte que c'était un parachute.
Le Sergeant John KEMPSON et son père
© Photo Doreen Kempson
Cosquer Jehan en Kérien, lieu où est tombé le Sergent John Kempson
Un de leurs voisins, Monsieur Augustin Salomon, arriva aussitôt et retrouva, au pied de ce rocher, le malheureux aviateur plongé dans le coma. Il était inconscient. Aussitôt et avec prudence, elles allèrent prévenir un résistant qui se rendit sur place, ayant pris soin de prévenir d'autres hommes de son groupe. Les deux femmes cachèrent le parachute de couleur blanche. Les résistants emmenèrent l'aviateur chez le docteur Lebreton, placé entre deux hommes, à l’arrière d'une voiture berline. Le lendemain pour plus de sécurité, le Sergent fut emmené au village de Coat Maël où venu de Guingamp, le docteur Rivoallan, chirurgien, lui fit une ponction lombaire et décela une fracture du crâne. Les docteurs Sécardin et Lebreton assurèrent les soins les jours suivants. Le blessé décédera le 25 avril en début de matinée. Des francs tireurs partisans français du maquis Tito transportèrent le corps dans leur campement. Un menuisier fit un cercueil. Le Sergent Kempson fut inhumé avec les honneurs militaires, ses camarades canadiens étaient présents à l'enterrement de celui qu'ils surnommaient ''Johnny''. Les résistants tirèrent une salve d'honneur. Un prêtre prononça l'oraison funèbre. L'inhumation eut lieu au pied d'un rocher près de la vallée du Blavet au lieu-dit "Toul Goulic" en Lanrivain. Transféré en 1946 par le service des sépultures britanniques, il repose au cimetière anglais de Bayeux dans le Calvados. (Tombe XVIII F 2).
"Toul Goulic", lieu de la sépulture provisoire du Sergent John Kempson
Pour les 5 aviateurs un départ vers Paris, en vue de leur évasion vers l'Espagne fut envisagé. Refusé par l'autorité, ils furent réorientés vers un réseau d'évasion dans le sud de la Bretagne. Au bout de quelques jours et après une longue distance parcourue, l'ordre fut donné au groupe de revenir au point de départ. Le réseau Shelburn à Plouha s'avérait mieux adapté à leur traversée de la Manche. Ce Réseau d'évasion proche avait réussi depuis le début de 1944, plusieurs missions nocturnes vers Darmouth, sur la côte sud de l' Angleterre. Les Canadiens avaient quitté Coat Maël pour séjourner au maquis Tito où ils restèrent un mois, participant aux activités du groupe de résistance. Dans les jours qui suivirent leur départ, les Allemands entreprirent une rafle vers les maquis de toute la région. Le 16 mai 1944 à Mael Pestivien ils arrêtèrent une quarantaine de personnes dont le maire de la commune et le médecin. Plusieurs personnes subirent la torture, un homme en décédera. Le lendemain d'autres personnes seront incarcérées à Saint Brieuc. Deux hommes déportés trouveront la mort dans les camps en Allemagne, un autre sera fusillé au camp de la Maltiére à Saint Jacques de la Lande. Ce même jour, 16 mai 1944, en cours d'après-midi, les allemands et miliciens arrivèrent en nombre au village de Coat Maël à la recherche des résistants dont une des maisons, était un lieu de rendez-vous. Ils malmenèrent une personne pour en savoir plus. Ne trouvant rien, ils mirent le feu à la maison de la famille Grenel où avait eu lieu l'hébergement des aviateurs et où mourut le Sergent Kempson. Heureusement à ce moment, les évadés étaient en lieu sûr, cachés, dans une minoterie à Senven Lehart où ils restèrent 6 semaines et furent évacués en urgence car un groupe de jeunes maquisards, installé au château de Goas Hamon sur cette même commune fut attaqué et décimé par l'occupant. Les 5 aviateurs furent dirigés, le jour même vers le maquis de Coat Mallouen, plus sûr, qu'ils quittèrent début juillet pour rejoindre Plouha en vue de leur évasion par mer. Dans la nuit du 13 juillet 1944 la MGB 503 commandée par le Lieutenant Marshall, secondé par son adjoint le navigateur David Birkin (père de la chanteuse Jane Birkin) jeta l'ancre à l'anse Cochat près de la balise du taureau, puis récupéra 16 militaires dont les 5 aviateurs Canadiens. Après un périple de 83 jours en France, les aviateurs évadés retrouvaient l'Angleterre.
Ruines de la maison Grenel où mourut le Sergent John Kempson
RECIT D'EVASION DU LT A. HOUSTON.
Approche du récit d'évasion du Lieutenant Alfred Houston raconté au journaliste Geoffrey Hewelecke du Maclean's Magazine en Janvier 1945. Ce récit apporte des précisions sur les conditions d'accueil et de vie des cinq aviateurs Canadiens, au sein des maquis des Côtes du Nord, lors de leur évasion, suite à la chute de leur bombardier Wellington à Bourbriac vers 0 heure 30 le 21 avril 1944. Le lieutenant, à un certain moment de son récit, parle de l'attaque d'un Junkers 88 dont un obus aurait percé un des réservoirs de carburant. Au vu des Archives de la Luftwaffe, des comptes rendus de missions, ainsi que des revendications de victoire sur des appareils Alliés pour la nuit du 20 au 21 avril 1944, il n'est pas possible de prendre en compte cette affirmation du Lieutenant dans la cause du crash de son bombardier WELLINGTON. En effet cette même nuit là, aucune revendication allemande dans ce sens n'existe. Nous retrouvons 4 bombardiers Lancaster de la Royal Air Force abattus lors d'un raid sur Clichy sur Seine, La Chapelle, Le Blanc Mesnil en région Parisienne. Autrement, rien. Rappelons qu'il était le navigateur de cet appareil. Il n'avait pu faire le cap de retour, quelque peu compromis par le non aboutissement de sa recherche qui aurait ramené l'appareil et l'équipage à sa base, et avait par le fait, échoué. Il a vraisemblablement cherché à donner cette autre raison, en parlant d'une attaque qui en fait n'a pas eu lieu, c'est ce qu'il en résulte de l'analyse faite par notre groupe qui s'est penché récemment sur ce dossier. Dans les compte-rendus de retour d'évasion en Angleterre (archives), rédigés le 14 juillet 1944, aucun des cinq aviateurs Canadiens dont le Lieutenant Houston n'a parlé de cette attaque de Junkers.
Container entièrement métallique.
Dessin réalisé d'après un croquis de M. Pasturel
La mission sur Blois n'était pas une mission de bombardement lourd. Les containers de tracts transportés ne pesaient pas et la logistique avait assuré à l'appareil une autonomie suffisante en carburant. Lorsque le Lieutenant Houston a contacté la balise de guidage, il restait à l'appareil plus d'une heure d'autonomie. Largement de quoi rentrer à Castel Donnington d'où ils étaient partis. Le lieutenant parle dans son récit d'un médecin qui avait soigné le sergent John Kempson avant sa mort et que les Allemands auraient assassiné, ceci annoncé par un jeune résistant de 17 ans. Il semble que la aussi le Lieutenant, emporté par l'émotion, exprime à sa manière ce ressenti. Il avait bien rencontré le Docteur Secardin qui était venu tous les jours précédent la mort du jeune aviateur au village de Coat Mael où il était caché. Il dit aussi avoir apprécié la gentillesse du docteur. Nous pensons que le lieutenant dans les mois qui ont suivi son retour au Canada à appris cette triste nouvelle qui en fait ne touchait pas le docteur lui même mais son fils torturé et assassiné avec six camarades au lieu dit Garzonval en Plougonver le 16 juillet 1944. Nous en avons déduit ceci, car aucun médecin ayant soigné le Sergent Kempson ne subit ce sort tragique à notre connaissance. Le Lieutenant Houston évoque la mort tragique de cette petite fille victime d'un tir Allemand dans une rue à l'heure du couvre feu . Il n'a pas été possible de localiser la ville ou ce drame horrible s'est passé.
EVASION par F/O (Officier de l’Armée de l’Air) Alfred J HOUSTON
Raconté à Geoffrey HEWELCKE
Les ténèbres m’entouraient, et dans l’angle du grand talus breton, directement derrière moi, l’obscurité de la nuit était encore plus profonde. Le ciel au-dessus était couvert. En-dessous, je pouvais toucher de la main des terres fraîchement labourées. L’odeur des terres me semblait aussi bien que n’importe quel champ fraîchement labouré en Ontario. Je remuais mes doigts de pied dans mes bottes d’aviateur mouillées, et je continuais à attendre. Bientôt, j’ai entendu quelqu’un siffler au loin – un petit air de jigue. De plus près quelqu’un d’autre a repris la mélodie. Puis les deux siffleurs se sont arrêtés. Tout d’un coup je me suis trouvé entouré d’hommes. Il me semblait qu’ils étaient sortis de la terre même. Ils étaient nombreux. Près de mon épaule, j’ai entendu dire, "Nous sommes des Patriotes. Nous luttons pour la France. Nous sommes les hommes de De Gaulle". J’ai serré la main à la personne, qui m’avait parlé. C’était leur capitaine. Je vais l’appeler Tony, même si ce n’est pas son vrai nom. Je dois vous dire dès maintenant que tous les noms que j’utilise dans ce récit, ne sont pas les vrais noms, au cas où les allemands gardent certains de leurs familles comme prisonniers. Les allemands peuvent se venger sur ces incarcérés…..ça je le sais.
Tony a touché de ses doigts mon battle-dress RCAF, et il a fait signe de la tête. ‘Ça ne va pas’, a-t-il dit. Il a parlé brusquement en français, juste quelques mots, et un paquet de vêtements m’est parvenu de quelque part derrière nous. Au toucher, j’ai découvert un pantalon civil, un gilet, et des souliers cloutés, que plus tard j’ai reconnu comme de l’uniforme allemand. J’ai changé de vêtements là où j’étais, dans la nuit noire. Puis quelqu’un m’a passé un pistolet-mitrailleur Sten. ‘Chargé ?’ Ai-je demandé. ‘Chargé,’ a été la réponse….. Je faisais partie maintenant du groupe de Patriotes de Tony – du groupe que plus tard les journalistes appelleraient le ‘Maquis’, mais je n’entendais jamais ces hommes utiliser ce nom eux-mêmes. Plus tard la même nuit, Tony et mes nouveaux camarades m’ont emmené dans une grange où on a pu allumer une bougie en sécurité. C’était le moment où je les ai vus. Il y en avait à peu près une trentaine – des hommes d’aspect dur et hâlé, la plupart entre les âges de 18 et 30 ans. Tous, ils sont ‘allés dans les champs’, plutôt que de partir en travaux forcés pour les allemands. Tous étaient armés - ou avec des pistolets mitrailleurs Sten et grenades, parachutés par nos avions – ou avec des fusils et pistolets allemands. Si un Patriote avait un fusil allemand en main, j’ai vite compris qu’un soldat allemand se décomposait dans une tombe peu profonde quelque part au milieu d’un champ breton.
Dans la grange, j’ai expliqué à Tony et aux autres, que j’étais navigateur d’un RCAF Wellington et que notre mission avait été de parachuter des brochures au-dessus d’une ville pour avertir les habitants d’éviter les routes au moment du commencement de l’invasion ; et que c’était en retournant que nous avions rencontré un Junkers 88 et que notre réservoir à gaz avait été percé par un obus allemand. Je lui ai dit qu’il y avait cinq autres membres de l’équipage quelque part dans un rayon de 20 miles. Tony a pris note de leurs noms et de leurs signalements. Il s’agissait de Flying Officer Harold BRENNAN, pilote. Il venait de Lindsay, Ontario. Moi-même, je viens de Toronto. Avant la guerre j’étais représentant de produits chimiques pour la société A. S. BOYLE. Il y avait les sergents Andy ELDER, mitrailleur arrière, qui était de Vancouver, British Columbia ; Ernie TROTTER, de Cornwall, bombardier ; Roger DICKSON, de Vernon, British Columbia, mitrailleur supérieur, et Johnny KEMPSON, radiotélégraphiste, de Surbiton en Surrey – le seul anglais parmi notre équipe de canadiens.
La date était le 20 avril, au printemps de l’année dernière. J’ai expliqué à Tony que j’avais conseillé aux gars de se diriger dans la direction sud-est vers la frontière espagnole, quand nous avions sauté de l’avion ; et il a pris note de ça aussi. Quelques minutes plus tard, j’ai entendu la sonnette d’une bicyclette dehors, et Tony a éteint la bougie, pour pouvoir ouvrir la porte. Puis il l’a rallumée. Une fillette a poussé ses tresses derrière ses épaules, et s’est tenue debout, droit devant lui. Elle était une des messagères qui faisaient partie du système des Patriotes – et elle était fière de son rôle. Elle a parlé rapidement avec lui, dans une langue que je n’ai pas reconnue. Très sérieux, il a fait signe de la tête, elle a continué à parler. Bien entendu, elle parlait breton – une langue qui ressemble au gallois – et dont je ne comprenais pas un mot.
‘On a trouvé un de vos amis, gravement blessé.’ Tony s’est retourné vers moi, ‘Un jeune, aux cheveux noirs, et au visage long.’ J’ai réfléchi un instant. ‘C’est sûrement Johnny Kempson’, j’ai suggéré, ‘Qu’est-ce qui lui est arrivé ?’ ‘Un médecin est avec lui, à 20 miles d’ici,’ m’a dit Tony, ‘On l’a trouvé inconscient parmi des rochers dans des landes. Vous voulez le voir ?’ ‘Bien sûr,’ ai-je dit. Tony a parlé à quelqu’un derrière nous. Encore une fois, la bougie a été éteinte, et la porte de la grange fut ouverte. Encore une fois on a rallumé la bougie. ‘J’ai dit à un des gars de voler une voiture’, Tony m’a dit, ‘Il sera bientôt de retour.’ Il m’a regardé d’une manière curieuse, presque avec envie. ‘Ça doit être magnifique de pouvoir voler dans ces avions,’ m’a-t-il dit, ‘De pouvoir tirer sur les allemands – de pouvoir les bombarder. Nous qui sommes obligés d’avancer à quatre pattes dans les champs et dans les fossés, on donnerait notre jambe droite pour pouvoir faire comme vous.’
‘Vous aussi, vous avez un travail à faire,’ je lui ai suggéré. Tony a fait signe de la tête. ‘C’est vrai,’ a-t-il admis, ‘Et on le fait. Ne croyez pas qu’on n’est pas soldat parce qu’on n’a pas d’uniforme. On a tué un grand nombre d’allemands, et on en tuera encore.’ La férocité de sa voix m’a surprise. Mais maintenant, non. Je sais maintenant ce que font les allemands aux Patriotes quand ils les prennent. Pourtant, le moment après, Tony m’a demandé si tout s’était bien passé quand j’avais sauté de l’avion. Je lui ai dit que j’avais atterri dans un champ, tout en chantant à pleine voix, tellement j’étais heureux d’être encore vivant. Il a souri quand je lui ai expliqué que mon parachute ne s'était pas ouvert immédiatement. Il a souri d’un air approbateur quand je lui ai raconté comment je m’étais sauvé à travers les champs et les talus, à travers une rivière, et puis que j’avais rebroussé chemin pour essayer de confondre les chiens que j’avais entendu aboyer au lointain, des chiens qui auraient pu montrer ma piste aux allemands. Je lui ai raconté également tout mon parcours de ce jour avant de rencontrer finalement l’homme qui m’avait emmené au champ où je leur avais rencontré.
Très peu de temps après, une voiture est arrivé devant la grange. Cinq des Patriotes, et moi-même sommes montés dedans. Les allemands avaient interdit à la population d’être dehors après 9 heures du soir. Mais cela ne changeait rien pour les Patriotes. Plus tard, je me suis trouvé à côté de Johnny. Il avait le visage gris. Un médecin et une femme s’occupaient de lui. ‘Johnny,’ ai-je crié. Il a tourné la tête un petit peu, mais c’était évident qu’il ne me voyait pas. Je me suis mis à genoux à côté de son lit. Il a mis ses bras autour de moi. ‘Je veux retourner chez moi,’ m’a-t-il murmuré. Le médecin, un homme aux cheveux gris, et avec un visage gentil et aimable, a secoué la tête. Je lui ai pris à part et il m’a expliqué la mauvaise nouvelle. Les Patriotes avaient trouvé Johnny parmi les rochers. Peut-être que son parachute l’avait tiré par là. En tout cas, il avait une fracture du crâne, et des blessures internes aussi. ‘On ne pourrait pas trouver un moyen de le faire passer dans un hôpital militaire allemand,’ ai-je demandé, ‘Là, il aura une chance.’
Le médecin a souri tristement. ‘Pas maintenant,’ a-t-il dit, ‘Je l'ai déjà soigné, et les allemands le sauront – je serais fusillé, parce que selon leur règles, ils disent qu’un parachutiste blessé doit être laissé là où il est tombé.’ Les patrouilles allemandes venaient souvent dans ce village, et Tony a pris la décision d’emmener Johnny Kempson dans un autre lieu. Nous l’avons mis dans la voiture et nous l’avons conduit jusqu’à un autre village à une distance d’environ 15 miles de là. On l’a mis dans une grange sur la paille. Je suis resté avec lui, ainsi que 2 des Patriotes. Ils ont creusé une tombe
Au cours des 5 jours suivants, tout le reste de l’équipe du Wimpy ont été trouvé par les Patriotes, qui nous les emmenaient un par un. Pendant cette période, le médecin a rendu visite à Johnny tous les jours, et a fait venir un spécialiste d’une ville voisine, un spécialiste en trauma crânien. Malgré nos soins, et malgré les visites journalières des 2 médecins, Johnny est décédé le matin du sixième jour. On savait qu’il allait nous quitter, et avant sa mort, les Patriotes ont fait venir un curé, même si Johnny n’était pas catholique. Cette nuit-là, l’équipage du Wimpy s’est rassemblé dans le village. Ils (les habitants du village ?) avaient passé la journée à creuser une tombe pour Johnny sur une colline à environ 15 miles d’où on était. Ils avaient creusé pendant 9 heures pour faire la tombe, tellement la terre était rocailleuse. Tôt le lendemain, nous avons enterré Johnny. Notre équipe a formé une haie d’honneur ; le curé du village le plus proche a célébré la messe, et un groupe de Patriotes déguenillés, penchés sur leurs fusils, ont assisté, mais un peu à l’écart.
Six semaines plus tard, j’y suis repassé, et j’ai vu que les enfants du village avaient mis des fleurs sur cette tombe de cette personne qui leur était inconnue. Après l’enterrement, Tony nous a rassemblés un peu à part. ‘Maintenant, on est prêt’ a-t-il dit. ‘Prêt à quoi ?’ Ai-je demandé. ‘Vous voulez regagner la frontière espagnole ?’ A-t-il dit. ‘Cela fait partie de notre devoir en tant que Patriotes, d’aider les aviateurs Alliés à échapper aux allemands…. Vous êtes des combattants d’une grande valeur…. Cela a coûté beaucoup de temps et d’argent pour vous former pour vos tâches…. Eh bien, 18 hommes de notre groupe vous conduiront dans la direction du sud-est, jusqu’aux limites de notre territoire. On sera guides et gardiens pour vous. On vous emmènera et on combattra pour vous. Et on ne vous demande qu’une seule chose – de ne pas risquer vos vies en combattant, sans la nécessité de le faire…… Laissez nous le combat.’ Nous sommes partis, direction sud-est.
L’attaque de la Gestapo.
Traverser le pays avec les Patriotes était sans problème – au début. Puis plus tard, quand la Gestapo nous suivait de plus en plus près, cela est devenu un cauchemar. Derrière nous, nous avons laissé une traînée de sang et de souffrance. Au début, pourtant, les Patriotes connaissaient les routes où il y avait peu de risques de tomber sur des patrouilles. Ils connaissaient quels fermiers nous donneraient à manger sans poser de questions….. Quelles forêts étaient les plus sûres. En plus leur ‘service d’information’ était tellement bien organisé. Des filles à bicyclette, de jeunes fermiers, des fils de fermiers, passaient de temps à autre. La nuit, on entendait quelqu’un siffler une mélodie dans les ténèbres…. Un des nôtres sifflerait une autre mélodie. Il y aurait une réponse sifflée et une forme obscure sortait des ombres pour nous murmurer quelques mots d’information.
Mais les allemands ont frappé rapidement. La deuxième nuit, à environ 40 miles de l’endroit où nous avons enterré Johnny, j’ai été réveillé par des voix tout près de moi. Je les ai écouté, et je me suis mis debout. Une des voix appartenait à un jeune d’environ 17 ans, qui nous avait aidés à soigner Johnny Kempson. Il n’était pas venu avec nous, mais il avait réussi à nous retrouver, et avait une histoire affreuse à nous raconter. D’une manière ou d’une autre, les allemands ont appris l’histoire de Johnny. Ils ont été informés du rôle du médecin. Ils l’ont torturé. Ils ont cassé ses deux poignets, ils les ont tordus…. Puis ils l’ont tué. La voix du jeune homme était dure et sans émotion. Il a aussi raconté que lui-même avait été capturé mais qu’il avait pu se sauver. C’était le premier français, à donner sa vie pour nous ; ce médecin doux et gentil qui savait bien qu’il risquait sa vie pour soigner Johnny, mais qui venait quand même tous les jours. Je n’ai jamais connu son nom.
Tony nous a réunis immédiatement. Il nous a dit que c’était évident que les allemands avaient des informations sur nous, puisque ils en avaient sur Johnny. Ça voulait dire que la Gestapo devant nous serait avertie, et que derrière nous, la Gestapo suivait déjà nos traces. Il fallait continuer avec beaucoup de prudence. On s’est mis en route toute de suite. Le jeune, qui nous avait donné les affreuses informations, devait rejoindre un autre groupe de Patriotes. Peut-être est-ce maintenant le moment de vous parler de nos guides. Il y avait bien sûr Tony, grand, bronzé, extrêmement efficace en tant que chef et capitaine élu de la bande. Il avait vécu "dans les champs" depuis la reddition de la France. Un des autres était coiffeur et il nous coupait les cheveux. Deux d’entre eux, étaient marins.
Parmi les autres il y avait des employés de bureau, des ouvriers, des fermiers et des ouvriers agricoles. Agés tous entre 18 et 30 ans ; physiquement en forme et donc recherchés par les allemands pour les travaux forcés. Tous sans exception avait une forte détermination de lutter contre les allemands jusqu’au dernier souffle. Ils se considéraient comme soldats pour la France. Un groupe de Patriotes n’était jamais trop nombreux – environ 15 ou 20 hommes ou femmes au plus, qui collaboraient avec eux, mais qui pour la plupart ne vivaient pas "dans les champs". Chaque groupe avait un capitaine élu. Chaque capitaine répondait à un officier supérieur. Chaque officier supérieur avait 5 groupes sous son contrôle. Chaque officier supérieur répondait à un pouvoir au-dessus de lui, qui était en contact avec l’état-major du Général De Gaulle, d’où il recevait ses ordres, et à qui il transmettait leurs demandes d’armes et de dynamite. La flexibilité de l’organisation était vraiment incroyable et en même temps le système de commandement fonctionnait parfaitement.
Coup de feu du couvre-feu.
Nous avons continué sur notre chemin, et nous avons trouvé de quoi manger dans la nature, autant que possible, en faisant la chasse aux lapins dans les bois, et en prenant des poissons dans les rivières. A l’occasion, nous avons pu acheter du pain dans des fermes isolées. Bientôt nous avons reçu un nouveau message, pour nous avertir que la Gestapo était sur notre piste. Nous nous sommes divisés en petits groupes de 2 ou 3. Pendant environ 4 jours, mes deux guides se sont occupés de moi, et par la suite nous avons pu rejoindre les autres dans une petite ville beaucoup plus au sud. Ce vendredi, au soir, un médecin de la ville est venu nous voir. Il a invité nous les canadiens à lui rendre visite pour le weekend. "Vous pouvez manger de la bonne cuisine faite maison", a-t-il dit en souriant, "En plus, je pense que vous voudriez bien prendre un bain et dormir entre des draps."
Nous étions incertains. "Cela ne vous entraîne pas trop de risques ?" Nous lui avons demandé. "Je pense savoir m’occuper de mes affaires," a-t-il répondu en souriant. Samedi, à midi, nous avons quitté notre camp deux par deux. Un membre de l’équipage avec un guide des Patriotes. Après notre weekend de repos à la maison du docteur, nous sommes repartis juste avant l’heure du couvre-feu, imposé par les allemands, à 9 heures du soir, et nous nous sommes dirigés vers les limites de la ville. Tout d’un coup l’éclaireur Patriote, un peu à l’avance de nous, a levé la main pour nous avertir. A l’instant, nos guides nous ont poussés vers l’entrée d’une petite ruelle. "Il y a une patrouille allemande qui s’approche de nous…" ont-ils chuchoté. Dans une maison près de nous, une porte s’est ouverte, et une fillette de 5 ou 6 ans, en est sortie en vitesse. Elle avait rendu visite à une copine, et était restée trop longtemps. Elle était arrivée au milieu de la rue, quand nous avons entendu la claque sèche d’un fusil. La fillette s’est retournée vivement ; et puis elle est tombée….Elle a donné deux petites secousses avec ses pieds…..Et puis elle n’a plus bougé.
Nous, aviateurs, étions stupéfaits et horrifiés par la violence brutale de l’acte. La nausée nous a pris. Puis nous avons saisi nos Stens, et nous étions sur le point de sortir en courant de la ruelle, quand les Patriotes nous ont retenus. "Mauvaise idée," nous ont-ils dit, "Pas bon. Si vous tuez la patrouille – les boches vont prendre leur revanche en tuant 30 ou 40 habitants de cette ville". Avec beaucoup de précaution, ils ont regardé autour, et ils ont surveillé la rue. Au carrefour, nous avons pu voir, à peine et avec difficulté, quatre allemands, portant à la tête des casques en acier. Ils étaient penchés sur leurs bicyclettes. Un d’entre eux, sur ses gardes, tenait son fusil et regardait en même temps le petit corps pitoyable près de nous. Mais il n’a pas osé l’approcher. Un petit peu de temps plus tard, les allemands sont montés sur leurs bicyclettes et sont partis. "Ça c’est la France comme elle est aujourd’hui," mon guide a chuchoté. "Regardez, il y a une fenêtre d’ouverte pour voir pourquoi il y a eu cette fusillade." "C’est l’enfer," ai-je dit. "Cela ne va pas durer longtemps – je vous le jure, cela ne va pas durer," m-a-t-il répondu avec émotion.
Notre route barrée.
Deux jours plus tard, nous étions à la limite du territoire connu par Tony et son groupe. Un autre groupe de Patriotes nous a rencontrés et c’était maintenant à eux de nous accompagner plus loin. Le groupe consistait de 13 hommes sous le commandement d’un capitaine que j’appellerai "Jean". C’était un ancien capitaine de L’Armée qui vivait maintenant "dans les champs". Pendant deux jours, nous avons continué notre voyage avec lui, et puis un messager est arrivé pour l’informer, que les allemands ont appris que beaucoup d’aviateurs alliés arrivaient à s’évader en passant par l’Espagne. D’entiers régiments de la Gestapo avaient été mobilisés pour patrouiller la frontière. Cela ne servait à rien de continuer. Alors nous avons fait demi-tour, et repris le chemin vers le nord et vers la Bretagne ; pourtant nous n’avons pas pris la même route que la première fois.
Une semaine plus tard nous avons aperçu une patrouille allemande, d’une vingtaine de soldats. Ils nous ont vus aussi. Immédiatement ils nous ont poursuivis à travers les champs. Ils allaient nous rattraper et en plus ils possédaient des fusils d’une portée plus longue que nos mitraillettes. Les balles arrivaient de plus en plus près. Bientôt on serait obligé de les combattre, et ils étaient plus nombreux et mieux armés. A quatre pattes, nous avons traversé un talus boisé, ce qui nous servait d’obstacle, quand un des Patriotes – un jeune de 28 ans, costaud, bronzé, s’est approché subitement du capitaine Jean, et l’a salué. "Je demande permission de rester ici pour combattre l’ennemi," a-t-il dit. "Avec mon Sten et peut-être un autre aussi, j’arriverai à les retenir pour une demi-heure, pour vous donner le temps d’échapper." Le capitaine Jean l’a regardé de près. Puis il a salué. "Permission accordée," a-t-il dit.
Le jeune homme a pris un autre Sten et s’est installé dans le fossé, ses armes dirigées à travers le talus en direction du champ de l’autre côté. Il s’est mis à tirer toute de suite. "Venez vite," le capitaine Jean nous a donné l’ordre. "Que son sacrifice ne soit pas pour rien." Nous avons continué en courant. Derrière nous, nous avons pu entendre le bruit des fusils, et puis du silence. Un peu plus tard, nous avons entendu des cris aigus, un bruit affreux et angoissant. Plus tard nous avons appris qu’il avait été blessé, capturé, et puis rapidement torturé à mort. Quelques jours plus tard, nous étions en train de traverser un champ, quand des balles ont claqué dans l’air autour de nous, suivies quelques secondes après par le bruit sec d’une détonation. Nous sommes tombés par terre – mais un des Patriotes est resté sans bouger. "Il est mort," a dit le capitaine Jean. "Léo, Paul, Jacques et André – c’est votre devoir de prendre nos aviateurs au bois près du ruisseau, que vous connaissez. Vous autres, restez ici avec moi, et on va repousser les allemands."
A quatre pattes, nous avons réussi à atteindre un fossé, et nous nous sommes dirigés à plat ventre vers un passage dans un talus. Derrière nous, des fusils claquaient. Cette nuit, le capitaine et deux des autres nous ont retrouvés. Les trois autres étaient restés dans le champ, tués par les allemands. A leur avis, ils avaient réussi à tuer au moins deux des ennemis, et les allemands ont finalement pris la décision de se retirer. Nous avons continué notre chemin vers le nord pour une distance d’à peu près 80 miles, jusqu’à un vieux moulin. Ici on nous a dit que nous serions obligés d’attendre quelque temps, pour donner aux Patriotes la possibilité d’organiser une autre solution pour notre départ. En attendant, nous devions vivre dans une petite pièce, au grenier du moulin ; nous devions prendre soin de ne pas faire du bruit parce que les allemands venaient régulièrement prendre leurs repas dans la salle, deux étages en-dessous de nous. Nous avions le droit de fumer seulement quand personne d’autre n’y était. La nuit, nous devions prendre soin de ne pas faire apparaître de la lumière, et nous ne devions pas nous approcher de la seule fenêtre, couverte comme elle était de toiles d'araignée. La femme du meunier, une dame très aimable, ainsi que sa fille, nous apportaient de quoi manger.
Un séisme de fusils.
Nous sommes restés dans cette pièce pendant six semaines ; six semaines qui étaient parmi les plus monotones et ennuyeuses de ma vie. Dans la pièce il y avait deux lits. Nous étions cinq, ce qui voulait dire que chaque nuit un de nous dormait au sol, sur le plancher. On avait un jeu de cartes, une table avec cinq chaises, un seau de toilette. Rien de plus. On jouait au bridge, et ça sans arrêt. Vivre si près des autres, cette existence si monotone, devoir chuchoter pour parler ; petit à petit les autres vous énervaient, et nous avons fini par nous détester. C’était pendant ce temps que nous avons appris que le médecin qui nous avait accueilli pour ce beau weekend, a été obligé avec sa femme d’aller vivre "dans les champs", parce que les allemands avaient découvert ce qui s’était passé. De temps à autre les Patriotes passaient nous rendre visite, avec des cigarettes et du tabac de pipe volé dans un entrepôt du coin. La ration de cigarettes pour les civils était de 20 cigarettes par mois : chacun de nous fumait plus que ça par jour.
Au moulin, on avait le temps de réfléchir, et de s’inquiéter pour nos familles – et de penser à l’inquiétude dont nous étions la cause. Nous étions bien sûr portés disparus, et ils ne savaient pas si nous étions toujours en vie. Par moment, nous avons même discuté de notre situation, et s’il valait vraiment l’effort de continuer à essayer de nous évader ; peut-être que ce serait mieux de nous livrer aux allemands. Mais à chaque occasion que cette idée nous venait à l’esprit, on se souvenait de tous ceux qui avaient donné leur vie, sans nous le reprocher, et volontiers – parce qu’ils pensaient sauver la vie à des combattants formés et expérimentés : impossible pour nous de baisser les bras. C’était le 6 juin – le Jour J – pendant la cinquième semaine de notre séjour au grenier de ce moulin. C’était à moi de dormir au sol, et je me suis réveillé en pensant qu’il y a eu un tremblement de terre, qui a secoué le bâtiment. Je suis resté allongé sur les planches en bois et j’ai encore ressenti des tremblements de terre. J’ai bien écouté, et j’ai entendu des canons au loin. Immédiatement j’ai réveillé mes camarades, et nous sommes restés dans le noir, les oreilles tendues. Nous avons bien deviné et compris ce qui se passait. A notre avis il y avait trop de bruit pour que ce soit du tir de DCA (contre les avions). Ce qu’on entendait c’était des canons navals – en tout probabilité des obus préliminaires avant l’Assaut.
A propos du 6 juin 1944 : témoignages de Madame et Monsieur Rault André, ''Le Vieux Châtel''. Saint-Gildas, (situé près de Quintin). "J'avais 14 ans, j'habitais chez mes parents dans la commune de Le Lelay (Côtes du Nord à cette époque). Nous étions occupés par les Allemands depuis quatre ans raconte Madame Rault et certains d'entre nous parlaient de temps en temps d'un éventuel débarquement allié sur nos côtes. On y croyait plus ou moins. Un matin tout le monde dormait dans notre maison quand soudain nous fûmes réveillés en sursaut par un bruit venant de notre grenier. Mon père se leva et monta l'escalier pour voir ce qui se passait. Il eut la surprise de voir notre grande balance en bois qui vibrait de toute part résonnant sur le plancher. Il trouva cela surprenant et redescendit pour pour nous dire ce qu'il avait constaté. Il décida de sortir dans notre cour et la il fut surpris d'entendre au loin vers le nord un roulement étrange et sourd, incessant. Nous avions compris. En ce mardi 6 juin 1944 les Alliés étaient à l'assaut du rivage. Ils vont nous libérer, disions nous. J'habitais ici même chez mes parents à la ferme du Vieux Châtel raconte Monsieur Rault André. J'avais 18 ans. Je me souviens aussi de ce réveil que nous avions eus ce 6 juin 1944. Nous fûmes surpris d'entendre dans notre vaisselier toutes les assiettes qui vibraient à n'en plus finir. Nous nous demandions ce qui se passait. Jamais nous n'avions eus un tel phénomène. Dans la cour nous pouvions aussi entendre un bruit de roulement sourd qui venait du nord. Cela ne cessait pas. Dans le bourg de Saint Gildas plusieurs personnes purent constater ce phénomène qui est resté encré dans notre mémoire. La distance allant d'Arromanches sur la côte Normande à Saint Gildas est de 203 kilomètres à vol d'oiseau." Témoignages recueillis par Jean-Michel Martin en octobre 2012 |
A 9 heures du matin, le neveu du meunier est entré dans la pièce en courant, deux bouteilles de vin en main, les larmes aux yeux. "Les anglais ont débarqué," a-t-il crié. Derrière lui un cliquetis sur l’escalier. Le meunier, sa femme et leur fille montaient l’escalier. Nous avons ouvert le vin, et nous avons bu en silence à cette glorieuse matinée, et par la fenêtre nous avons regardé les groupes de travailleurs forcés, poussés par les allemands, en train d’enfoncer des poteaux en bois dans la terre, pour empêcher aux planeurs des forces de l’invasion d’atterrir. Cette même nuit, les nouvelles étaient encore une fois dures : les allemands avaient entouré et tué une bande de dix-huit Patriotes, qui habitaient à 2 miles de nous. Parmi ces morts, il y en avait 4 qui nous avaient apportés des cigarettes. Sept ont été tués en combattant l’ennemi, et les onze autres ont été pris par les allemands et torturé à mort. Il y avait une forte probabilité que les allemands auraient découvert des informations sur notre existence.
Le lendemain matin le meunier a monté l’escalier en vitesse, et en criant à haute voix, "Allez, allez – les Boches…" En moins d’une seconde, nous sommes descendus en courant, et nous l’avons suivi vers l’arrière du bâtiment où il nous a fait signe de nous sauver vers un marais à 300 mètres de là. Les allemands avançaient sur la route. Nous nous sommes précipités vers le marais, et nous nous sommes cachés parmi les joncs, et pendant ce temps, la voiture de l’armée allemande est arrivée devant le moulin. Un officier en est sorti. Très bientôt, nous avons entendu deux coups de fusil. Impossible pour nous de savoir ce qui s’était passé, mais nous avons eu peur pour nos hôtes, qui ont peut-être été tués. Dans l’après-midi, la fille du meunier est arrivée avec un tas de pain, du beurre, et une carafe de cidre. Elle nous a expliqué que ses parents n’étaient pas en danger. Un des officiers avait tiré son fusil, quand un fermier et sa charrette s’étaient approchés lentement du moulin, au moment où les allemands avaient voulu partir. C’était leur façon de dire, "Laissez-nous passer ou attention aux conséquences." On s’attendait quand-même à d’autres fouilles.
Une jeune femme, si belle et si gentille
Cette nuit-là, nous sommes restés dans le marais, et toute la journée suivante aussi, jusqu’à minuit quand on nous a dit de retourner au moulin. Nous avons eu de quoi manger, et nous avons rencontré notre nouveau guide. C’était une jeune femme d’environ 19 ans – une fille blonde et habillée à la mode – je l’appellerai Paulette. Elle était aussi une des plus gentilles jeunes femmes que j’ai jamais eu l’occasion de rencontrer, et elle était Patriote et responsable pour des missions d’une difficulté extrême. Elle nous a expliqué que la tête de pont en Normandie était à une bonne centaine de miles de nous, et que ce serait trop dangereux pour nous de nous y approcher. Cependant une autre solution avait été organisée, nous a-t-elle assuré, en nous souriant, les yeux pétillants et pleins de vie. Cette première nuit, nous l’avons suivi pour 10 miles. Elle est restée avec nous pendant 3 jours et 3 nuits, et elle nous a laissé avec un autre groupe de Patriotes, avec qui nous avons passé une semaine.
Après 8 jours, Paulette est revenue pour une nouvelle étape. Le lendemain, nous sommes partis à pied à huit heures du matin, et nous avons passé quatre heures à essayer d’entrer dans une petite ville sans être aperçus par les patrouilles allemandes. C’était la ville où habitait Paulette – et en plus les allemands y maintenaient une garnison – juste en face de la maison de Paulette. Finalement nous avons réussi à nous enfiler, inaperçus, dans la maison, et nous avons eu l’occasion de rencontrer sa mère – une vieille dame impressionnante qui avait perdu quatre fils pour la France. Le dernier de ses fils était parti en Angleterre pour rejoindre l’Armée de l’Air (RAF) ; et maintenant il était porté disparu. Il ne lui restait plus de fils, et c’était maintenant à Paulette de continuer le combat pour la France… C’était comme ça dans cette famille. Nous avons été à peine une heure dans la maison, quand dehors nous avons entendu des cris et des coups de fusils dans la rue. C’était une patrouille allemande qui se comportait comme des cow-boys. Ils ont démoli la porte d’entrée d'une maison à proximité, et ont forcé les habitants de les accompagner.
A la fin, nous nous sommes couchés…. Brennan et moi dans une chambre, et les 3 autres dans une autre chambre. Le lendemain, nous avons pu regarder avec intérêt, les allemands sortir de leur caserne en face et mettre toutes leurs affaires dans des charrettes de ferme, avant de partir pour le front. Il nous semblait qu’il ne restait que de jeunes garçons et des hommes âgés. Certains, parmi les jeunes, pleuraient. Encore 2 nuits, et Paulette nous a informé qu’il était temps de partir – la dernière étape - et nous l’avons suivie en direction de la côte. Sur le chemin, d’un buisson quelconque, elle a retiré un détecteur de mines magnétique avec des écouteurs. Elle avait appris à l’utiliser – et en avait besoin – parce que nous sommes entrés dans un champ de mines qui s’étendait sur une distance de quelques miles. Paulette avançait pas à pas, tout en faisant des mouvements circulaires, des deux côtés, avec sa "poêle au bout d’une manche à balai". Ses gestes avaient l’air d’une danse complexe. Si elle repérait une mine, elle laissait tomber un mouchoir là-dessus. On apercevait simplement la couleur blanche du mouchoir, comme une fleur de rose dans l’obscurité de la nuit. Puis elle avançait en prenant un tout petit pas circonspect – et le mouchoir tombait. Le dernier à suivre devait ramasser les mouchoirs et les faire passer à l’avant de la file.
Nous avons continué de cette façon sur sept miles ; c’était lent, angoissant, et nous avons avancé pas à pas ; des fois si près des tranchées allemandes que nous avons pu entendre parler les soldats ; et il nous a semblé impossible pour eux de ne pas nous voir passer. Au mois de juin le soleil se lève tôt, et pourtant nous n’avons pas pu nous presser ou avancer plus rapidement. C’était comme l’avance d’un escargot, et le risque d'être découvert avec le soleil. Finalement nous sommes sortis du champ et Paulette nous a fait signe d’avancer à la prochaine étape. Le censorat m’interdit de vous décrire cette dernière étape, mais je peux vous dire, qu’en nous tenant debout là où elle nous a laissé, et en regardant Paulette retourner dans le champ de mine mortellement dangereux, tout en faisant sa petit danse lente comme un ‘adagio’, avec son manche à balai et le détecteur de mines, nous avons eu le profond regret de ne pas pouvoir l’emmener avec nous. Nous avons prié Dieu, si, sincèrement, nous avons prié Dieu de lui permettre de sortir en toute sécurité de ce champ de mines. Déjà beaucoup trop de sang français héroïque avait été perdu pour assurer notre évasion. Déjà beaucoup trop.
Cinq jours plus tard, nous sommes arrivés en Angleterre !
Merci à madame Janet Pitman pour son aide à la traduction de l'article de Geoffrey Hewelecke paru en 1945 au Canada dans le magazine Maclean's sur le récit du Lieutenant Houston.
TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR YVES ROUXEL.
La chute de cet avion avait eu lieu trois jours avant l'anniversaire de mes 6 ans. Malgré mon jeune âge et le temps passé, quelques souvenirs perdurent dans ma mémoire. Nous habitions le village de Logoray et l'avion, en pleine nuit était venu s'écraser prés d'ici entre Kerlosquer et Kerbars. Le bruit de sa chute avait réveillé ma mère. Il y eut une terrible explosion. Le lendemain, tout le monde voulait se rendre sur les lieux pour voir ce qui s'était passé. Avec mon frère Michel, mon cadet d'un an, nous étions partis à pied, accompagnés par des voisins plus grands, tous en groupe. Arrivés sur les lieux, tout était brûlé. Un container en aluminium (container à tracts) fut ramené au village par le groupe des jeunes. Il faisait environ 2 mètres de long. Très vite il servit de barque, que nous faisions flotter sur une mare proche de chez nous. Puis un jour, ce container disparut. La carcasse de l'avion resta longtemps en place.
TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR JEAN LACHATER.
Nous fûmes réveillés en sursaut vers minuit et demie. L'avion rasa la toiture de notre maison et s'écrasa aussitôt dans une terrible explosion.
TÉMOIGNAGE DE MONSIEUR JOSEPH GUILLAUME.
Dans notre village de Coat Maël, il y avait régulièrement des rassemblements de résistants. Dans la maison de la famille Grenel, le père et ses trois fils, Jean, Armand, le plus jeune et Yves, faisaient partie d’un réseau de résistance. L’aîné, Yves, était très actif. Le père se prénommait aussi Armand. Le jour de la dramatique rafle de Maël Pestivien, le 16 mai 1944, les allemands arrivèrent nombreux au village en cours d'après-midi et entreprirent de retrouver des gens du maquis qu'ils soupçonnaient d’en faire partie. N'ayant trouvé personne, ils mirent le feu à la maison de la famille Grenel ainsi qu'à celle voisine de la famille Sannier. A ces deux maisons mitoyennes s'ajoutait un grande étable appartenant à monsieur Ange Le Cozler. Ce dernier voyant l'incendie se propager et craignant pour son étable, entreprit de détruire à la hache le haut de la charpente attenant à la maison Sannier pour éviter que le feu ne gagne sa bâtisse. Un allemand l'apercevant, lui ordonna de descendre immédiatement. Dès qu'il fut arrivé à terre, l'allemand lui asséna un coup de crosse de fusil sur la tête, il n'eut aucune pitié pour ce vieil homme. Un peu plus tard, une voisine voulant créer une chaîne d'eau pour éteindre l'incendie, arriva avec deux seaux bien remplis. Un allemand l'apercevant épaula son fusil et tira un coup de feu dans sa direction, heureusement sans l'atteindre. Elle s'enfuit aussitôt. Les deux maisons brûlèrent entièrement. La maison Grenel ne fut jamais reconstruite. C'était dans cette maison qu'était mort un jeune aviateur. A ce sujet, un jour, le docteur Secardin, médecin à Callac, arriva en voiture qu’il stationna chez nous discrètement. Il connaissait la maison, nous étions de famille. Il partit à pied vers la chapelle Saint Gildas et le bas du village. Nous ne savions pas où il allait. On ne le sut qu'après. Il vint ainsi trois jours de suite soigner ce jeune homme blessé. Il allait à pied par un chemin mais prenait soin de revenir par un autre pour ne pas être remarqué. Monsieur Armand Grenel père, fut arrêté lors de la rafle qui eut lieu dans le bourg. Relâché en cours d'après-midi, tandis qu'il rentrait chez lui, il fut à nouveau arrêté par des allemands venus le rechercher en voiture. Il fut déporté en Allemagne et y mourut le 18 janvier 1945 au camp d'internement de Bremen Blumenthal, en Basse Saxe.
TÉMOIGNAGE DE MADAME MARIA MICHEL.
Au printemps de 1944, un jeune aviateur anglais était arrivé en parachute, en pleine nuit auprès de notre village de Kosquer Jehan en Kérien. Il était tombé au bord d'un chemin menant à l'un de nos champs. Quand nous sommes arrivés sur les lieux, il y avait des gens du village auprès de lui. Il gisait sur le sol, inanimé et inconscient. Quelqu'un le toucha au niveau d'un poignet. Il réagit un peu mais il était dans un coma profond. L'un d'entre nous dit qu'il fallait faire vite et aller chercher du secours. Prévenus, des résistants arrivèrent rapidement. Ils se servirent d'une voiture berline. Le blessé fut placé assis sur la banquette arrière entre deux hommes et fut caché dans un village où hélas il mourut les jours suivants. Longtemps après on retrouva dans la campagne pas très loin de cet endroit un autre parachute caché par un membre de cet équipage qui s'était posé à cet endroit.
QUELQUES PIECES DU WELLINGTON Mk X.
Source biographie : Raids Aériens sur la Bretagne durant la seconde guerre mondiale; Tome I & II. Roland Bohn. ?
Sources : Par les nuits les plus longues. Roger Huguen. La Bretagne au combat de Joseph Darcel.
Remerciements à :
- Keith Janes. Site internet : Conscript Heroes - keith@conscript-heroes.com - Escape line. Angleterre.
- Jonathan Ives pour son aide de recherches en Angleterre.
- Monsieur Yannick Botrel, Sénateur maire de Bourbriac.
- Mesdames Maria Michel
- Messieurs Joseph Guillaume, Jean Paul Rolland, Yves Rouxel, Jean Lachater, Pasturel.
- Madame Janet Pitman pour son aide à la traduction de l'article de Geoffrey Hewelecke paru en 1945 au Canada dans le magazine Maclean's sur le récit du Lieutenant Houston.
IN MEMORIAM
Sergeant (W.Op./Air Gnr). KEMPSON, JOHN
XVIII. F. 2. BAYEUX WAR CEMETERY
Sources :
Raids Aériens sur la Bretagne durant la seconde guerre mondiale; Tome I & II. Roland Bohn.
SIS/MI9 Operation Crozier - 12/13 July 1944 - MGB 503 (Mike Marshall) - Conscript Heroes website
PIECES DU WELLINGTON Mk X
Musée 39-45 - Le Pont de la Haye - 22100 LEHON - DINAN
Pièce 1 Pièce 2
Pièce 3 Pièce 4
Pièce 5 Pièce 6
Pièce 7 Pièce 8
Pièce 9 Pièce 10
Pièce 11 Pièce 12
Pièce 13 Pièce 14
Pièce 15 Pièce 16
Pièce 17 Pièce 18
Pièce 19 Pièce 20
Pièce 21 Pièce 22
Pièce 23 Pièce 24
Pièce 25 Pièce 26
Pièce 27 Pièce 28
Pièce 29 Pièce 30
- Les photos 1-2-3-4-5-6-7-8 et 11 sont sans doute les pièces pour les réservoirs d'essence.
- La pièce 10 serait sans doute un des bouchons des réservoirs.
- Les pièces 13-13a-14-15-16-17-18-25 et 27 font partie du même ensemble, c'est à dire la pièce du mitigeur des commandes de l'avion avec les compensatrices. Dérive plus son compensateur égale deux commandes. Profondeur plus les deux compensateurs égale deux commandes tout cela pour commander l'arrière de l'avion. Si on regarde bien la photo 13, il y a deux axes principaux et qui sont perpendiculaires, un pour l'arrière et l'autre pour les ailes, le trait rouge à droite, est sans doute pour l'arrière de l'avion, le trait vert à gauche pour les ailes et le trait bleu la commande principale qui va au manche à balais. Normalement il devrait y avoir un autre axe qui vient des palonniers, la suite des commandes était soit des câbles ou des chaînes type de vélo.
- Les pièces 19 et 20 se trouvaient probablement derrière l'hélice (?).
Identification des pièces : Barthélémy Barré
Le biographie sur la perte du Wellington Mk X LN896 a été retenue pour figurer dans la revue
d'Histoire et d'archéologie du pays d'Argoat (n°60, page 21).
RECIT EN ANNEXE DU PAYS D'ARGOAT
auteur Monsieur Jean Paul Rolland, numéro 40, paru en 2003
Madame Marie Françoise Secardin - le Roc'h. Sa résistance dans la seconde guerre mondiale
Mme Sécardin - Le Roc'h - Docteur Sécardin(1891-1950)
Ce matin du vendredi 21 mars 1944 , Marie Françoise Le Roc'h, sage-femme à Callac, rentre à son domicile, au 12 rue docteur Quéré. A cette époque de l'année, il ne fait pas chaud, de plus il y a un brouillard à couper au couteau, ce qui a rendu plus difficile la conduite de sa petite Simca cinq : elle est exténuée ! Elle ne pense qu'à une seule chose : son lit pour se reposer et se réchauffer. Son appartement est au-dessus du garage du docteur Sécardin, son voisin.
Comme elle allait ouvrir sa porte, le docteur l'interpelle :
- Comme vous êtes matinale aujourd'hui !
- Oui, je reviens de Plougonver où j'ai effectué un accouchement.
- Vous ne voudriez pas me rendre un petit service, à savoir, aller chercher mon beurre à la ferme Parcheminer à Kerfoen en Calanhel ?
- Eh bien oui, je vais aller tout de suite, je me reposerai au retour !
Lorsque je suis arrivée à la ferme, les gens étaient à peine levés. La veuve Parcheminer est en train de chauffer le café dans la grande cheminée sur un timide feu. Elle me dit que le beurre n'est pas prêt. Je m'assoie sur un petit billot de bois devant l'âtre afin de me rapprocher de ce brin de feu, pensant me réchauffer. Puis arrivent trois de ses fils pour prendre leur petit déjeuner. Ils bavardent entre eux, leur conversation est faible, mais suffisante pour que je perçoive quelques bribes en particulier : ‘’il y a deux morts (1), mais deux autres n'ont pas grande chose ‘’ ! Je ne dis rien, j'essaie de me réchauffer.
Et puis lorsqu'ils en ont eu fini de commenter cette histoire, je m'adresse à eux :
- Comment, un avion (2) est tombé dans les parages de Poullouarn, mais où sont les deux aviateurs blessés ?
- Plus bas, pas loin d'ici, dans la grande maison en bordure de la route qui mène à la Chapelle Neuve.
Mais comme je n'ai pas beaucoup d'essence dans la voiture, je décide de me rendre à pied vers la maison que les frères Parcheminer m'ont indiquée. En cours de route, je rencontre une copine d'enfance, Mathilde Débordés, qui revient à bicyclette de cette fameuse maison où se trouvent les aviateurs.
Elle me dit :
- L'un d'eux est assez sévèrement blessé mais l'autre, par contre, n'a que de simples égratignures aux doigts.
- Quoi, lui dis-je, ils restent là alors que les allemands lorsqu'ils seront prévenus viendront les arrêter !
Déjà, je me suis mise à réfléchir à la meilleure façon d'intervenir.
-Tu ne veux pas aller avec ta bicyclette prévenir l'aviateur valide qu'une personne veut lui parler puisque tu me dis qu'il parle un peu le français ; moi je n'ai pas envie d'aller dans cette maison.
Peu de temps après, elle revient avec l'aviateur.
Je lui demande :
- Vous êtes anglais ?
- Oui, me répond-il en rigolant.
- Ne me jouez pas un sale tour, car si vous êtes allemand qu'est-ce que je vais devenir.
Il rigole, puis, grâce à son accent, je me rends compte qu'il ne me trompe pas. Je dis à Mathilde de se rendre avec lui dans un champ, à gauche, qui se situe en bordure de la route de Loguivy Plougras. Il faut que j'aille à Callac chercher des bons d'essence afin de faire le plein du réservoir, que je revienne le chercher et le mette à l'abri. Il n'y a pas de temps à perdre car les allemands vont être là d'un instant à l'autre. Il a fallu que je me rende chez le maire de Callac. Monsieur Toupin. Que je lui explique la situation pour qu'il me délivre les bons d'essence. Son fils Emile est venu avec moi chercher le carburant et, ensuite, récupérer l'aviateur anglais. Nous avons retrouvé Mathilde Débordés et notre ‘’colis compromettant ‘’.
Allongé à l'arrière du véhicule, nous faisons route vers Loguivy Plougras, sans destination précise ; une vague idée me fait me diriger vers Plestin les Grèves que je connais pour avoir été à l'école. Je pense, qu'en me rapprochant de la côte il me sera plus facile de le faire partir vers l'Angleterre, son pays. Pour l'heure je roule dans le flou ! Avant d'arriver à Loguivy Plougras, je me souviens que j'ai un oncle. Arsène Auffret (3), qui tient une ferme dans un village, à gauche sur cette route, et que je m'y suis rendue plusieurs fois, avec mon père. En m'arrêtant ici, je vais pouvoir disposer de quelques jours afin d'organiser l'évasion de l'aviateur anglais. En arrivant chez mon oncle, je lui explique le pourquoi de ma venue. Il ne prend pas le temps de réfléchir, d'emblée, il accepte.
Tous les jours, je viens prendre de ses nouvelles, mon oncle l'a installé dans une chambre chez lui. Au bout du quatrième jour, lorsque j'arrive, il n'est plus dans la chambre, mais dans un grenier à foin au- dessus des bêtes. Mon oncle me fait part des angoisses de sa mère, âgée de quatre-vingt-quatre ans, depuis que cet étranger est sous leur toit, et que les risques sont grands. Il ne peut le garder plus longtemps. Je prends mes responsabilités puisque c'est moi, seule, qui ait entrepris cette démarche audacieuse.
Je lui dis :
- Demain, à midi, je viendrai le rechercher et je l'emmènerai chez moi à Callac.
J'ai pensé que cette heure est propice au transfert, car les allemands, comme nous, déjeunent. Affublé de vêtements de paysan, je l'amène dans mon appartement à Callac. Peu avant l'arrivée à la maison, je croise quelques dames de notables de Callac qui ont pour habitude, après à leur repas de midi, d'aller se promener. Elles me voient en présence d'un inconnu, mais jamais elles n'en parleront. Je l'installe dans la chambre la plus haute d'où il peut entendre les avions qui passent ou reviennent des raids sur Saint Nazaire, Lorient... Il peut, également, entendre la compagnie allemande défiler tous les matins, en chantant : « Ali Alo Ala... ». Mon frère est venu également nous rejoindre, il fait les courses afin de subvenir à nos besoins ; ils partagent le même lit. Je ne me souviens plus combien de jours il est resté chez moi. J'étais obnubilé par la façon de l'évacuer du territoire français. Monsieur Toupin, maire, me fait savoir que je dois impérativement me présenter à la kommandantur pour signaler la présence de cet aviateur ! Mais pour moi il n'est nullement question de livrer cet aviateur qui a déjà compromis quelques personnes. Sûrement que monsieur le maire a subit des pressions et des menaces de la part des occupants allemands. Toujours est-il qu'après la libération, il est venu me chercher pour aller sur sa liste électorale, mais bien entendu je n'ai pas accepté cette offre.
Puis je me décide à me rendre chez le docteur Renan. J'ai entière confiance puisque je travaille pour lui.
Et je lui dis :
- Je veux partir en Angleterre et comme je sais que vous êtes de la région de Lézardrieux, peut être que vous connaissez quelqu'un qui pourrait me renseigner ? Je voudrais partir ! Très étonné, il me répond :
- Quand même, vous n'allez pas partir, vous avez du travail, tout marche bien pour vous !
Il y a quatre médecins à Callac : Hénaff, Renan, Sécardin et Trégoat, tous savent que je veux partir mais je ne sais pas comment l'information leur est parvenue. Ils sont venus, tour à tour, m'envoyer des habits et des chaussures afin d'habiller mon aviateur décemment et qu'il puisse passer inaperçu. Un ami du docteur Sécardin, André Connan, propriétaire de la carrière d'ardoises de Maël Carhaix, que l'on nomme ‘’petit prince’’, a soit disant un réseau. En fait, il faut se rendre dans les Landes, plus bas que Bordeaux, là des bûcherons peuvent nous aider à passer en Espagne. Le signalement de l'aviateur a été diffusé partout dans les mairies limitrophes. La peur de me faire prendre devient tenace.
Après la guerre, le capitaine anglais Carry, de la Royal Air Force, m'a remis cette affiche. Il l'a trouvée dans la mairie du Vieux Marché. Il me l'a dédicacée. Madame Mond, de Belle-Isle-en-Terre, mariée au ‘’roi du nickel’’, un anglais, lui avait raconté mon histoire Je prépare, petit à petit, ‘’ mon bonhomme ‘’ afin qu'il parte en mettant tous les atouts de notre côté, sans attirer l'attention des allemands, en particulier. J'ai profité que mon frère soit là pour qu'il se rende chez le coiffeur Rivallain s'enquérir de teinture pour les cheveux. J'ai pu teindre la chevelure blonde et les sourcils de l'aviateur en brun. Le lendemain matin, de bonne heure, habillé d'un imperméable ayant appartenu au docteur Hénaff, qui cache les autres vêtements, nous partons avec ma petite voiture à la gare de Plougonver. Je n'obtiens malheureusement qu'un billet pour deux, à la destination du Mans !
Arrivés en gare de Guingamp, je lui donne la valise à porter en prenant attention que sa main écorchée ne se distingue pas. Les sentinelles allemandes font les cents pas sur les quais, le fusil à la bretelle. Nous faisons comme tout le monde afin de ne pas nous faire remarquer en nous rendant dans la salle d'attente. En passant à Saint Brieuc, André Connan et un de mes oncles, Yves le Roc'h, sont sur le quai. Ils s'assurent de mon départ et que je ne rencontre pas de difficultés. Au Mans, une amie, Madame Fauvy, avec qui j'ai fait mes études de sage-femme à Rennes, nous attend. Nous mangeons et dormons chez elle et, dès le petit matin, nous nous rendons à la gare pour prendre le train en direction de Tours. J'ai changé d'avis, je ne me rendrais pas à Bordeaux, mais je vais me rapprocher de la ligne de démarcation (4).
En arrivant à Tours, nous nous mettons en quête d'un logement que nous trouvons en face de la gare. Cet hôtel a la particularité d'avoir un couloir d'accès qui donne sur la rue. Ainsi, il n'est pas nécessaire de passer, à chaque fois, par le bistrot et l'accueil, pour accéder à la chambre. Nous sommes libres de nos allers et venues. Nous restons quelques jours à Tours, où je trouve le temps très long. L'aviateur, au début, reste dans la chambre et moi je me rends à la gare afin de glaner des renseignements auprès des employés de la SNCF, pour pouvoir passer la ligne de démarcation. J'ai échafaudé une histoire disant que ma soeur était gravement malade en zone libre et que je veux m'y rendre le plus rapidement possible. Mais je ne réussis pas à obtenir de renseignements, sans doute que l’on se méfie de moi. Au bout de trois jours, l'aviateur et moi ne mangeons pas grand chose à cause de l'anxiété et de la peur qui nous tenaillent. Nous nous promenons dans les rues de Tours, bras-dessus, bras-dessous, il me dit dans son français approximatif :’’ J'ai l'impression que tout le monde nous regarde ‘’ ! Je l'ai bien compris et partage son avis. Un soir, nous décidons de rompre la monotonie et nous nous rendons dans un restaurant chic. Après nous être installés, je vois, au fond de la salle, assis à une table, deux hommes qui nous regardent avec insistance, tellement que l'appétit n'est pas au rendez-vous. La serveuse vient nous apporter un plat, l'aviateur la remercie si fortement avec son accent, que par dessous la table je lui donne un coup de pied afin qu'il comprenne qu'il faut se taire. Nous ne restons pas longtemps en cet endroit, nous grignotons le reste du repas puis je demande l'addition avant de disparaître dans notre chambre d'hôtel.
Puis le samedi arrive, jour de marché à Tours, comme j'ai étudié suffisamment de cartes pour situer la ligne de démarcation, nous prenons un petit train pour Cornery. Dans ce train il y a des paysans qui ont été faire leur marché et qui devisent entre eux. Je les écoute et perçois, mais sans manifester d'intérêt, que untel ou untel a passé la ligne de démarcation. Lorsque j'en ai entendu suffisamment, je m'adresse au plus ancien de ces paysans :
- Est-ce que vous ne pourriez pas me renseigner comment faire pour me rendre en zone libre car ma soeur est gravement malade, je suis accompagnée de mon frère sourd et muet et nous n'avons pas de papiers ?
- Ecoutez ma petite demoiselle, à la prochaine gare, je vais aller voir le passeur et lui dire de venir vous trouver. Le type est venu, il reste auprès de la portière du train, il me demande :
- Combien êtes-vous ?
- Deux, mon frère et moi.
- Regardez-moi bien, j'ai un pardessus bleu marine, un béret et une musette sur le dos. Vous descendrez à Cornery, c'est le terminus. Puis vous me suivrez à une centaine de mètres derrière, ne me perdez pas de vue, je serai accompagné de deux autres personnes. A Cornery, comme des jeunes mariés se tenant galamment, nous le suivons avec la peur de le perdre de vue, sans trop savoir si nous respectons la distance des cents mètres. Dans la soirée, le long de la route, il y a des allemands dans un verger, en train de se laver dans une cuvette d'eau. Comme nous n'avons pas de papiers, l'idée de se faire prendre et d'être fusillés me traverse l'esprit ! Le passeur nous a également prévenus que, lorsqu'il nous ferait un signe, il faudrait immédiatement disparaître dans les vignes et attendre sagement. Heureusement, le temps est avec nous, une petite pluie fine s'est mise à tomber, comme un brouillard, diminuant ainsi la visibilité. Il vient nous récupérer puis nous le suivons dans les vignes avec les deux autres personnes. L'aviateur éprouve, à un moment donné, quelques difficultés à avancer et me fait remarquer qu'il n'a pas fait son service militaire dans l'infanterie, ses chaussures sont lourdes de terre glaise collée à ses semelles. Arrivés au bout d'un champ de vigne, un petit chemin de traverse matérialise la ligne de démarcation. A droite de ce chemin je vois un poste de garde allemand qui donne sur la route qui mène à Loches. Le passeur nous fait marcher à la file indienne, sur le bas-côté, afin que l'on n'entende pas nos pas. Mais à un moment donné, un bruit de moteur se fait entendre, une voiture s'approche ! Les hommes sautent sur le talus pour se cacher mais, comme il pleut, il est glissant. Je fus la dernière à me cacher. C'est une fausse alerte, la voiture passe sur la grande route. Puis nous nous mettons à parler et à nous présenter. Les deux hommes étaient des évadés d'Allemagne, originaires de Corse, les frères Laurentin (un des frères m'a écrit plus tard afin de me demander si mon ‘’colis ‘’ était arrivé à bon port ; je ne lui ai pas répondu par mesure de discrétion). Nous nous rendons, à la nuit tombante, au poste de garde français qui se trouve un peu plus haut. Je ressens un grand soulagement, rétrospectivement je crois que ça été le meilleur moment de ma vie : Les militaires nous accueillent bien, ils nous font manger. A ce moment-là, je déclare au passeur que le gars qui est avec moi n'est pas mon frère mais un aviateur anglais. Il désapprouve ma démarche et me fait savoir que, s'il avait su ça auparavant, il n'aurait pas accepté car c'était trop dangereux pour lui et pour moi. J'ai donc bien fait de me taire ! Depuis tout ce temps, je ne me souviens pas que le passeur m'ait demandé une quelconque somme d'argent. Le plus grand regret que j'éprouve, à l'heure actuelle, est de ne pas lui avoir demandé son nom et ses coordonnées afin de le contacter pour lui rendre hommage et de le remercier. Le passeur nous conduit dans une maison qui me semble être un centre d'accueil tenu par un homme âgé qui nous accueille sur le pas de la porte avec une lampe tempête. Ce vieil homme semble appartenir à la défense passive. Il nous fait monter tous les quatre dans le grenier. Là, je vois une pile de couvertures écossaises, les deux frères corses s'empressent d'en saisir une, ils s'enroulent dedans et à même le plancher, ils s'endorment. Eux, évidemment, ont l'habitude d'une telle situation ; l'aviateur et moi en faisons autant et ainsi une femme, l'esprit serein, parmi trois hommes, trouve le sommeil. Ma seule hantise est d'attraper des poux ! Le lendemain matin, le passeur nous conduit à Loches (Indre et Loire). Les deux frères Laurentin se rendent dans un centre administratif pour obtenir des papiers de libre circulation, pour rentrer sur leur île. Mais nous, nous ne savons pas où nous adresser, nous ressemblons à des clochards ! Le passeur nous rencontre, nous buvons un café à la gare de Loches et il nous dit que nous devrions nous rendre à Châteauroux et rencontrer le colonel Batz (officier chargé des relations zone occupée-zone libre). Ce que nous faisons, en prenant le train pour Châteauroux où nous arrivons peu avant midi. Nous rencontrons le colonel Batz, personne au demeurant fort sympathique, qui nous invite à manger à la cantine où nous avalons un excellent repas qui nous réconforte énormément. Je lui explique l'objet de ma démarche ; je viens de Bretagne avec un aviateur anglais et je cherche un moyen quelconque de le faire rejoindre son pays. Sa réponse est concise :
«Si vous ne voulez pas qu'il reste avec nous, où évidemment il sera fait prisonnier, rendez-vous à Lyon au Consulat des Etats-Unis, là peut-être qu'ils accepteront de le faire évacuer. En attendant je vais vous faire un laisser passer afin de pouvoir aller à Lyon et rentrer chez vous en Bretagne». Notre accoutrement est fort pitoyable mais il n'est pas notre souci premier ! Et nous voilà en route vers Lyon où nous débarquons le lendemain matin à la gare Lyon-Perrache. Au départ de Callac, le docteur Trégoat a eu la bonne idée de me donner l'adresse de sa fille, Georgette, qui est mariée à Kurt Salomon (marchand de bestiaux). Monsieur Salomon et sa famille se sont réfugiés en zone libre car recherchés en tant que juif. Malgré tous les soucis que j'ai accumulés dans cette aventure, je me souviens de l'adresse où nous nous rendons. Dès que nous avons frappé à la porte, une dame vient nous ouvrir. Elle nous dit que la famille Salomon n'habite plus ce logement. Comme elle nous trouve fort embarrassés et déçus, elle nous communique la nouvelle adresse et nous propose de nous accompagner en autobus jusqu'aux HLM. Nous échangeons quelques paroles banales. Elle est également bretonne, puis ensuite je me suis tue ! Nous trouvons la famille Salomon puis après l'instant des retrouvailles. Monsieur Salomon trouve notre état pitoyable, nous permet de nous laver et nous propose d'autres vêtements. Ensuite il nous conduit dans une bijouterie dont la façade de marbre noir décorée d'hypocampes, est tenue par un dénommé Le Provost, sise place de la République, personne très importante dans la Résistance. Je rentre seule dans cet établissement. Monsieur Le Provost ouvre une trappe dans sa bijouterie puis il me fait descendre dans une cave où il y a plein de cartons afin de m'interroger : d'où je viens, par où je suis passée. ... Puis avant de partir, il me dit que la famille de l'aviateur va être prévenue que leur fils est toujours vivant. Donc je pense que dans cette cave, il y a des postes émetteurs. Ensuite je rencontre une journaliste américaine, Madame Braud, qui me demande :
-‘’ Qu’allez- vous faire maintenant, vous retournez chez vous en Bretagne ? Moi je peux vous proposer de vous faire rentrer dans la Croix Rouge américaine’’.
- Non, non, je rentre chez moi».
L'aviateur, également tout seul, s'est rendu au Consulat des Etats-Unis. Les autorités américaines manifestent auprès de l'aviateur l'envie de rencontrer la personne qui l'a aidé dans son évasion. Elles me reçoivent afin de me poser des questions : devant des cartes, je leur montre l'itinéraire emprunté. Comme j'ai les ongles tachés, elles me demandent si je suis coiffeuse ou teinturière... ! Elles m'offrent une cigarette, tout en continuant l'interrogatoire qui, me semble t'il, est le même que celui de l'anglais. Elles s'aperçoivent que les réponses sont les mêmes, cependant leur scepticisme demeure. Qu'une femme seule, ait pu entreprendre une démarche à si hauts risques ? Dans le tramway, des messieurs bien habillés, nous saluent. Je réponds au salut mais sans aucune parole. La résistance se met en place ! Je suis restée quatre jours chez monsieur Salomon qui habite sous le nom d'emprunt de Claude Trégoat : l'aviateur loge chez un de ses cousins, banquier, dont les parents ont fui le nazisme pour les Etats-Unis. Kurt Salomon nous fait découvrir quelque peu la ville où il a beaucoup de relations. Le jour de mon départ est arrivé, monsieur Le Provost et l'aviateur anglais m'accompagnent à la gare ; il me demande encore de rester pour accompagner l'aviateur à Marseille, à la Gendarmerie maritime. Je refuse et fais prévaloir qu'il n'a plus besoin de moi, le danger est écarté. Duncan MacCallum, l'aviateur anglais, me demande si je peux l'attendre jusqu'à la fin de la guerre afin de fonder un foyer. Je baisse la tête et ne lui réponds pas. Je n'ai pas voulu lui donner de faux espoirs. Ainsi, avec mon certificat de rapatriement délivré à Châteauroux, au culot et à la barbe des soldats allemands, je rejoins sans encombre Callac. A la fin de la guerre, j'ai eu des nouvelles de Duncun MacCallum, par sa mère qui communiquait avec le capitaine Howard. Il est rentré en Ecosse à Aberdeen, à l'adresse suivante : 1 camp Mac Aleen 21 house Street.
Duncan MacCallum
Il habitait avec sa mère et sa soeur. Il fut ensuite prisonnier des allemands puis, à l'issue de la guerre, il a fait carrière au Canada dans l'Ontario où il est décédé. Il était ingénieur des Pont et Chaussées et dans la Royale Air Force il assumait le rôle de navigateur. Quant à moi, j'ai repris mon métier de sage de femme et je me suis mariée le 25 avril 1941 avec le docteur Pierre Sécardin. Le docteur Sécardin, fils d'un capitaine de la Marine, était né en 1891 à Dinan, marié une première fois avec mademoiselle Euphrasie Le Davet (1895 - 1925), directrice d'école à Guingamp, décédée au sanatorium de Plémet d'une tuberculose, avec qui il a eu trois enfants : Louis (décédé à l'âge de trois ans), Pierre et Yves. Sa seconde épouse, Louise le Cam (1904 - 1937), était une cousine de la première, originaire de Coat Maël en Maël Pestivien, décédée également de la tuberculose. Un soir le gendarme Plourin, en poste à Callac, vient glisser un papier sous la porte du docteur, sur lequel il avait écrit : ‘’on va vous arrêter’’. Le lendemain matin, je suis abasourdie lorsqu'il me dit : ‘’prend ton nécessaire et on s'en va !’’. Et ainsi, j'ai fait le chemin pour la seconde fois. Nous nous sommes rendus à Tours où nous avons logé dans le même hôtel. Mon mari a pris quelques renseignements, nous avons marché toute la nuit et au petit matin, nous étions en zone libre. Ensuite direction Lyon où nous avons été accueillis par monsieur Le Provost, bijoutier. Docteur Sécardin a exercé la fonction de médecin des troupes indochinoises, moi je n'ai plus eu d'emploi. Au mois de novembre 1942, mon mari réussit à m'obtenir un passeport de femme d'officier de l'armée française venant d'Afrique du nord. Il m'envoie en Bretagne chercher quelques informations et dire au tenancier d'un bistrot, son ami, de s'occuper de sa maison. Je me rends à Moulin où je subis une fouille corporelle en règle, par une femme allemande. Après avoir réglé mes affaires au pays, je retourne à Lyon, mais sans avoir de papiers en règle car ils m'avaient été délivrés pour un aller simple. Je suis revenue à Lyon en passant par Bordeaux ! En passant à Rennes, je rencontre Pierre Sécardin qui est venu voir sa fiancée : mademoiselle Gobichon. Mais Lyon est envahie par les troupes allemandes, il devient de plus en plus difficile de se dissimuler. Puis il fut nommé à Toulouse que nous avons rejoint par le train en passant par Sète, où nous avons passé la nuit, car notre train n'était pas prioritaire : il fallait laisser passer les convois allemands. A Toulouse, où il exerçait, je l'accompagnais parfois. Puis j'ai exercé dans une clinique d'accouchement à la place Esquirol. Nous logions dans une petite maison de deux pièces sur cour fermée dans le quartier de la Cartoucherie. Nous étions heureux, il ne nous manquait rien. Mon mari décide ensuite de rejoindre Callac, tout le monde nous disait : ‘’ vous allez le regretter, n'allez pas en Bretagne vous faire bombarder ‘’ Il n'avait qu'une hâte, revenir : mais nous l'avons payé cher, ce retour ! Nous nous étions écartés de la Bretagne près d'une année.
Il était avec Tremeur Burlot, responsable du Front National (organisation civile de la résistance intérieure de la région de Callac), aux premiers mois de 1943. Une personne, à bicyclette, venait déposer chez mon mari un paquet de journaux ‘’ La Résistance’’ et ensuite je partais avec ma sacoche de sage- femme les distribuer. Dans la nuit du 8 au 9 avril 1944, vers minuit et demi, les allemands ont fait irruption dans notre habitation à la recherche du docteur Sécardin. J'étais seule avec le plus jeune de ses fils, Yves, âgé de douze ans. Toute la maison a été fouillée, les armoires également, les soldats, en me mettant le canon de leur mitraillette dans le dos, hurlaient : ‘’ouvrez madame, ouvrez madame !!!’’ Ils m'ont même envoyé au fond du jardin où nous avions un chenil. Le gradé semblait plus arrangeant.
Il m'interrogea longuement :
- ‘’ Où est votre mari ? ‘’.
Sans manifester de crainte, je leur ai dit :
-‘’ II est parti à Paris acheter du matériel dentaire depuis quelques jours’’.
- ‘’ Vous devez savoir à quel hôtel il est descendu ?’’
- ‘’ Ma foi non, on ne sait pas quand on part comme ça’’.
- ‘’ A vous les femmes françaises vous êtes drôles ! Je suis obligé de vous faire venir sous les halles de Callac. Si je peux je vous ferai revenir chez vous peut être dans une ou deux heures. ‘’ Arrivée aux halles, il y avait déjà plein de monde, je me suis assise à côté d'Eugène Cazoulat (5).
Il me dit :
- ‘’ Si tu sors d'ici va prévenir ma femme qu'elle détruise l'adresse d'un belge qui se trouve dans le tiroir de la table de la cuisine, sous les fourchettes ; ma femme est malade, elle est sur le point d'accoucher’’.
- ‘’ Bien, si je sors d'ici je ferais la commission. Je suis restée le restant de la nuit aux halles. De temps à autre, les nazis nous exhibaient, soutenu par deux soldats, un dénommé Mainguy, qu'ils avaient torturé afin de nous faire peur et nous inciter à parler J'ai été appelée au bureau de la Gestapo qui se trouvait à la mairie, à l'étage des halles. Les SS m'ont encore questionné sur mon mari et, bien entendu, je leur ai dit exactement la même chose qu'auparavant ‘’.
Ils m'ont suggéré :
- ‘’ Si vous nous donnez son adresse à Paris, on vous libère’’.
Je pensais en moi-même, si je sors d'ici, vous n'allez pas me trouver de sitôt ! A l'issue de l'interrogatoire, je suis sortie du bureau et j'ai pu apercevoir des hommes, la tête contre le mur, je n'ai reconnu que Morin le garagiste. En début d'après-midi, ils ont chargé des hommes dans des camions que je pouvais voir à travers les vitres de la pièce où les femmes et les jeunes enfants avaient été rassemblés. Le gradé allemand qui était venu nous chercher, moi et le jeune fils (Yves) de mon mari, est venu nous prévenir que nous pouvions rejoindre nos foyers. Yves Sécardin était avec les jeunes gens, en particulier les frères Geffroy, dont Charles, qui avait été, en août 1941, déjà arrêté. Je suis allée voir un gradé allemand afin de pouvoir le récupérer. Il m'a demandé à deux reprises :
- ‘’ C'est votre fils madame’’ ?
- ‘’ Oui, monsieur ! D'un ton ferme et assuré- Eh bien, il peut partir avec vous. Lorsque je suis arrivée à la maison, après avoir fait ma commission auprès de Madame Cazoulat, j'ai amassé un peu de linge sur mon vélo et suis partie à Saint Cognan en Saint Nicodème, chez mon fermier Bourdonnec, où je suis restée un bon mois. Quant au petit Yves Sécardin, je lui ai conseillé de se rendre chez sa grand-mère, à Coat Maël en Maël Pestivien. En arrivant à Saint Cognan, le fils de la veuve Bourdonnec, m'apprit que mon mari était à Plémet (où il avait exercé son métier) et qu'il demandait que je le rejoigne. Je suis allée à Plémet, à vélo, ma sacoche remplie de tabac pour les maquisards. Puis nous sommes revenus dans le secteur du bois de Duault, en particulier à Pont Cadic en Saint Nicodème, chez une vieille dame, cliente de mon mari. Le jour des combats de Kerhamon, nous y étions et nous entendions les coups de fusils et les rafales d'armes automatiques. Nous avons été dans plusieurs maisons des alentours et le dimanche 4 juin 1944, avant les combats, quelques personnes se sont rendues sur les lieux des parachutages vers Kerprigent en Locarn. Elles sont revenues avec des parachutes pour faire des corsages aux jeunes filles, des trousses de couture, du chocolat, des cigarettes... que les parachutistes leur avaient offerts. Mais lorsqu'ils ont su que les allemands venaient rechercher les maquisards dans les landes limitrophes, une peur les prit, aussi ils camouflèrent leurs cadeaux sous un tas de litière ! Suite aux combats de Kerhamon, un villageois conduisit le docteur Sécardin, en char à banc, à la clinique Rivoallan à Guingamp afin d'exercer son art et c'est là qu'il était lorsque les américains pénétrèrent dans Guingamp.
Après les combats, je changeais de secteur et à vélo, je me suis rendue du côté de Plourac'h, je ne savais plus où me rendre. Je dormais chez ma tante Fernande (madame Arthur Le Roc'h), institutrice à la retraite, au bourg de Plourac'h. Auparavant j'étais chez ma marraine (mademoiselle Coquil Marie) également au bourg, mais le curé lui expliqua que c'était hasardeux et dangereux de m'héberger. Un soir, un dénommé le Bolc'h est venu me chercher pour accoucher sa femme, puis après l'accouchement une idée me vint à l'esprit : si j'allais chez les fermiers de mon frère à Kerlosquet en Plourac'h. La fermière lorsqu'elle me vit, s'exclama :
- ‘’ Ce n'est pas maintenant que tu aurais du venir, mais il y a trois semaines car j'aurais été contente que tu sois là pour m'accoucher. Et c'est là qu'une nuit nous avons entendu des bruits sourds d'avions qui passaient bas, ils se rendaient vers le maquis de Lan Maudez pour parachuter des armes. Puis vers midi, le 5 août 1944, les américains rentrent dans Callac. Je ne suis pas allée directement à la maison, je suis restée deux jours au café Burlot (instituteur à la retraite) en face de la gendarmerie. Puis j'ai retrouvé la maison, la porte défoncée, la voiture volée...
Ensuite mon mari m'a rejoint. Nous avons appris que son fils Pierre, qui venait de terminer ses études en pharmacie à Clermont Ferrand, avait été arrêté le 9 juillet 1944 puis massacré le 16 juillet à Garsonval en Plougonver. Il avait refusé d'indiquer où se cachait son père. Le docteur Sécardin disait que s'il avait su que son fils était détenu dans cette terrible cave Souriman à Bourbriac, il aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour le récupérer. Mon mari est mort en 1950, sans avoir pu faire le deuil de son fils. Je fais souvent, dans mes rêves, ce voyage à haut risque, alors que celui entrepris avec mon mari est plus flou. Peut-être parce que j'ai moins de repères et que les dangers étaient moindres ? Madame Sécardin, qui n'a jamais tiré gloire de cette action, méritait quand même qu'elle fût racontée. Par sa décision individuelle et solitaire, elle a à sa manière, montré sa désapprobation au nazisme. Ainsi, ce témoignage, à l'aube de sa vie, raconté par elle-même, ne sera pas une légende, conséquences de l'inexactitude des faits et de l'exagération. Faire méditer profondément les générations futures, de la nécessité du combat pour la démocratie, pour la liberté, pour la dignité des hommes, de tous les hommes. Madame Sécardin a pris tous les risques, elle a choisi, comme le disait André Malraux, le ‘’ désordre du courage ‘’. Paix, démocratie et Etat de droit sont des situations fragiles, au destin incertain. Le 21ème siècle sera peut-être différent du 20ème siècle, si on n'oublie pas ce qu'ont fait et démontré ces Résistants aux idées subversives. Aux jeunes héritiers et comptables de l'engagement de ces générations ! C'est dans la mémoire collective de notre nation que notre jeunesse doit trouver les sources de sa réflexion sur le civisme, la défense de la liberté et la paix ? Car il y a danger lorsque l'oubli se confond avec le refus de savoir et le choix du confort de l'ignorance.
Témoignage à Madame Sécardin - Carte du combattant, délivrée par la France 56 ans après les actions de Madame Sécardin et signée du ministre des Anciens Combattants. Monsieur Halaoui Mekachera. Sans l'avoir sollicitée !
Jean Paul ROLLAND
(1) Ils furent inhumés temporairement au cimetière de la Chapelle Neuve, avant de rejoindre après la guerre leur terre natale. La première personne à s'être occupé des aviateurs est Yves Barbier de Calanhel. Il a conduit Mac Callan, blessé à la main et l'autre gravement brûlé à la ferme de Poulou.
(2) Cet avion venait d'avoir effectué un bombardement sur Brest où il fut touché par un tir de la DCA. (Non erreur).
(3) En fait sa femme était une cousine à ma mère.
(4) La ligne de démarcation fut fixée par l'armistice du 22 juin 1940. Elle allait de la frontière espagnole à la frontière suisse par Saint Jean Pied de Port. Mont de Marsan, Langon, Angoulême. Vierzon, Moulin. Paray le Monial, Chalon sur Saône, Dole. Une autorisation était nécessaire (Ausweis) pour la franchir. Elle perdit sa raison d'être après l'occupation de la France entière par la Wehrmacht, en novembre 1942, mais ne fut supprimée officiellement qu'en février 1943.
(5) Responsable FTP aux effectifs.
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