Avro Lancaster B Mk II (DS668 - code KO-R)
Près d'Ingrandes-sur-Loire (49)
(contribution : Philippe Dufrasne, Ludovic Guiet, Philippe Laroyenne, Daniel Carville, Frédéric Hénoff, France-Crashes 39-45)
Avro Lancaster B Mk II no 115 Squadron RAF, DS652 'KO-B' à East Wretham. Cet avion n'est pas rentré d'une mission sur Bochum, Allemagne,
dans la nuit du 12/13 juin 1943, une semaine avant la disparition du DS668.
© IWM (CH 19792) - domaine public
Equipage (115 Squadron RAF):
- Pilot Officer (pilote) Derek Frank Paston BROWN RAF Volunteer Reserve (matricule 124415), 23 ans (tué).
Fils de Paston Charles et Florence May Brown, Crowcombe, Somerset, Angleterre.
Sauta en parachute mais tomba dans la Loire.
- Sergeant (bombardier) Alexander Suttie DAVIDSON RCAF (matricule R/134223), prisonnier.
né le 29 août 1916, Edmonton, Alberta, Canada. Fils de Thomas et Jane M. (Robertson) Davidson.
Marié à Margaret Elaine Davidson. Blessé et hospitalisé.
Prisonnier n° 250716 Stalag IVB/Luft III.
- Sergeant (mitrailleur supérieur) Robert Ernest GOULD RAF (matricule 1028246), prisonnier.
Prisonnier n° 43279, Stalag Luft VII.
- Sergeant (mitrailleur de queue) LEonard Francis KING RAF (matricule 928303), prisonnier.
Prisonnier n° 326 Stalag Luft VI/357.
- Pilot Officer (navigateur) Charles Neville PITCHFORD RAF (matricule 137108), blessé, hospitalisé, prisonnier.
Prisonnier n° 1664, Stalag Luft III
- Sergeant (opérateur radio - mitrailleur) Alan Henry SHEPPARD RAF (matricule 537866), évadé.
Né le 4 novembre 1915, Ardingly, Sussex, Angleterre.
S'évada par le réseau Marie-Claire via les Pyrénées en septembre 1943.
- Sergeant (mécanicien) Charles Frank TROTT (matricule 577112), évadé.
Né le 1er juillet 1924, Bellingham, Londres, Angleterre.
Sauta en parachute et tomba à 8 kms au nord de Champtocé-sur-Loire.
S'évada par le réseau Marie-Claire via les Pyrénées en septembre 1943.
L'HISTOIRE
♦ LA NUIT DU 19 AU 20 JUIN 1943
Le 19 juin 1943, 12 bombardiers Lancasters décollent de la base RAF d'East Wretham entre 22h19 et 22h30 à destination de la France pour une mission de largage de mines. 9 d'entre eux ont pour destination l'estuaire de la Gironde (nom de code de la zone DEODARS) et les 3 autres le secteur de la Rochelle et le port de La Pallice (nom de code de la zone CINNAMON). Ces 12 avions emportèrent avec eux un total de 60 mines de 1 500 livres. Sur les 3 bombardiers désignés pour La Rochelle, 2 réussirent à larguer leur cargaison, l'un a priori sur la pointe du Payré, près de Jard-sur-Mer (l'Operational Book du Squadron 115 évoque la PT DE LA PAYRE ce qui est vraisemblablement la Pointe du Payré - voir plus loin) et l'autre à la pointe nord ouest de l'Ile de Ré. Le 3e avion, le Lancaster DS668, piloté par le Pilot Officer Derek Frank Paston BROWN, n'est malheureusement pas rentré de la mission.
Le voyage se passe bien pour le Lancaster DS668 et le pilote descendit à 1 000 pieds (envrion 300 mètres) pour larguer ses mines puis vira au nord, en direction de l'Angleterre, en grimpant à 10 000 pieds (3 000 m). Arrivé au niveau de Champtocé (49), volant droit et en palier, le navigateur venait à peine de donner l'ordre de virer que des balles arrivèrent sur l'avion par derrière et en dessous. Un chasseur ennemi, qui n'avait pas été repéré, attaqua apparemment de l'arrière car des balles traçantes furent aperçues passant sous les ailes. Le pilote fit alors piquer l'avion et c'est à ce moment que les ailes s'enflammèrent et en quelques secondes, semblèrent brûler d'un bout à l'autre. À ce moment-là, les deux réservoirs extérieurs étaient vides, les réservoirs centraux contenaient environ 100 gallons chacun et les réservoirs intérieurs étaient pleins au moins aux trois quarts. Aucun d'eux n'explosa avant que l'équipage quitte l'appareil.
Le mécanicien, qui était sur son siège au moment de l'attaque, enfila immédiatement son parachute et porta le sien au pilote. Ce dernier avait compensé l'avion complètement vers l'arrière. Le Sergeant Trott fit exploser l'appareil de reconnaissance ami-ennemi (IFF : Identification Friend or Foe) pour que ce dernier ne tombe pas aux mains de l'ennemi. Il vit le bombardier assis sur le bord de la trappe ouverte.Celui-ci sauta et le Sergeant Trott le suivit.
Dès qu'il entendit la première explosion, l'opérateur radio vit les flammes sous la soute à bombes ; il enfila son parachute et passa le sien au navigateur.Il ouvrit alors les portes blindées et vit que l'arrière de l'avion était éclairé. Il se tourna et se prépara à sauter. Le navigateur et l'opérateur radio suivirent le Sergeant Trott et les mitrailleurs s'échappèrent par la porte arrière. Juste après avoir sauté, l'opérateur radio, le Sergeant Sheppard, vit l'avion hors de contrôle effectuer une demi boucle puis se crasher sur la rive sud de la Loire. Le pilote sauta également mais il tomba dans la Loire et apparemment se noya. Son corps fut récupéré plus tard.
Le Sergeant Trott descendit très rapidement car 2 morceaux de son mparachute manquaient. Il était inconscient quand il atterrit sur un tas de foin près d'une ferme. Le Sergeant Sheppard fit une descente plus confortable. Les deux aviateurs atterrirent sur la rive nord de la rivière, près de Champtocé.
Sheppard et Trott, qui purent regagner l'Angleterre, racontèrent leur histoire (voir rapports d'évasion en annexes) :
- Sheppard atterrit dans un champ à environ 2 kms au nord de Champtocé. Il cacha son parachute et son harnais dans un fossé, mais garda sa Mae West*, dans l'espoir de s'en servir d'oreiller. Il marcha ensuite plein nord pour s'éloigner de l'avion. Au bout de 3 kms, il arriva à un arbre creux, parmi une rangée d'arbres dans un champ surplombant une route, et se cacha dedans pour la nuit. Au petit matin, il observa le trafic sur la route pendant 2 heures, puis quitta son arbre pour rejoindre une ferme à environ 500 m, qu'il avait longuement observée. Avec les quelques mots de français qu'il connaissait, il s'adressa à un paysan qui le conduisit au propriétaire de la ferme. On lui donna de la nourriture et Sheppard demanda quel était le chemin pour Angers. Il vit sur sa carte d'évasion qu'il lui serait difficile de traverser la Loire. Il passa une bonne partie de la journée à observer la rivière. Puis il descendit vers la rivière en traversant la route Angers-Nantes, une voie ferrée, et traversa un affluent par un pont. Près de la rivière, il parla avec un paysan qui l'emmena dans sa ferme et la garda 3 jours, du 20 au 23 juin. La ferme se situait au nord ouest de Saint-Georges-sur-Loire. Un autre français, qui parlait anglais, l'informa qu'il avait déjà rencontré le Sergeant Trott et qu'il allait essayer de les regrouper. La Gestapo s'était rendu à la maison de cet homme et il n'y retourna pas. Le 23 juin, 3 jeunes français l'emmenèrent dans une maison près de Champtocé où se trouvait le Sergeant Trott. On lui donna des vêtements civils et à la tombée de la nuit, il quitta la ferme.
- Le Sergeant Trott atterrit à 8 kms au nord de Champtocé. En attendant, il rata une grange et tomba sur un tas de paille. Il perdit connaissance et quand il revint à lui, il entendit des chiens aboyer. Il quitta son parachute et sa Mae West, accrochés à la grange et les laissa sur place. Il marcha environ 8 kms à travers champs, mais, comme il s'était tordu la cheville droite, et que la gauche le faisait également souffrir, il décida de demander de l'aide. Il se rendit dans un village à 3 ou 4 kms de Champtocé, espérant entrer en contact avec le prêtre. Il était alors 4h du matin ce 20 juin, et l'église était déserte. Il alla vers la maison la plus propre près de l'église et expliqua aux gens sur place qu'il souhaitait de l'aide et si possible être mis en contact avec une organisation. Ils me conduisirent dans une grosse maison au nord de Champtocé où il fut nourri et mis au lit. Le matin suivant, un homme qui parlait un peu anglais lui indiqua la direction à suivre pour traverser la Loire. Il quitta la maison, revêtu d'une veste civile. Il appris plus tard que les propriétaires de la maison furent arrêtés par la Gestapo, dénoncés par leur jardinier. Restant sur la route principale, il marcha dans Champtocé, tandis que des gens se rendaient à l'église. Deux filles s'approchèrent et comprirent qu'il était anglais. Elle le conduisirent à un endroit où on lui donna une tenue complète de vêtements civils et on le cacha dans un hangar au coeur d'une vigne. Il y resta caché 3 jours, et des jeunes Français lui portaient à manger. Un médecin lui rendit visite pour soigner sa cheville. Puis il fut conduit dans une autre maison près de Champtocé où il retrouva le Sergeant Sheppard.
- Sheppard et Trott se retrouvèrent donc dans cette maison au milieu de la nuit et furent conduits dans une grange au coin de la vigne. Ils y restèrent jusqu'au 26 juin car la Gestapo fouillaient la region pour les retrouver. Puis ils furent conduits en voiture à un garage sur la route de Nantes, où ils passèrent la nuit du 26 au 27 juin 1943. Le 27 juin, ils furent conduits à Nantes où ils furent pris en charge par une organisation qui organisa leur voyage à suivre.
* Mae West : surnom donné par les aviateurs à leur gilet de sauvetage gonflable, qui, une fois gonflé, donnait à leur torse une allure rappelant la généreuse poitrine de l'actrice américaine du même nom (née en 1893 et décédée en 1987).
♦ LES ALLEMANDS RECHERCHENT LES MEMBRES DE L'EQUIPAGE RESCAPES
Par aileurs, un document retrouvé aux Archives Départementales de Loire-Atlantique (voir en annexe), vraisemblablement issu de la Gendarmerie française suite à un message téléphonique de la Gendarmerie allemande, révèle que le Service de Sûreté Allemand (SD ou Sicherheitsdienst) d'Angers avait donné le 21 juin 1943 des instructions à la Gendarmerie allemande pour retrouver 4 membres de l'équipage du Lancaster, 3 d'entre eux ayant déjà été arrêtés. Des descriptions de ces 4 aviateurs étaient données avec une certaine précision ce qui peut laisser penser que l'un (ou plusieurs) des aviateurs arrêtés avaient pu donner ces informations très probablement sous la "contrainte". Ce document précise :
" Le 20.06.1943 vers 2h30 [le rapport de perte de la RAF indique 1h30 ce qui s'explique par le décalage horaire avec la France, passée à l'heure allemande sur l'instruction de l'occupant] un bombardier quadrimoteur anglais a éré abattu à 1 km. 1/2 au Sud-Est d'Ingrandes (Maine & Loire) par un chasseur de nuit allemand. Trois membres de l'équipage s'élevant à 7 hommes ont pu être arrêtés jusqu'à présent. Sont encore fugitifs :
1°- l'Officier-pilote BROWN Peter, 25 à 27 ans, taille 1m.77, fort, cheveux bruns, dentition supérieure un peu en avant
2°- Sergent TROTT, Prénom ?, 23 ans, taille 1m.68, fort, cheveux blonds crépus
3°- Sergent DAVIDSON, Prénom ?, 28 à 29 ans, taille 1m.83, de corpulence moyenne, cheveux roux
4°- Sergent SHEPPARD, Prénom ?, 30 à 32 ans, taille 1m.72, corpulence moyenne, cheveux blonds clairs, front dégarni.
Direction de fuite présumée : Côtes de l'Atlantique ou frontière Espagnole."
La lecture de ce document nous informe que les Allemands ne savaient pas encore le 21 juin 1943 que le pilote BROWN s'était noyé dans la Loire. On suppose donc que son corps a été retrouvé après cette date.
♦ ABATTU PAR UN CHASSEUR DE NUIT DE LA 11./NJG* 5
L'Oberleutnant Erich Gollasch, né le 27 novembre 1913, de la 11./NJG 5, attaqua cette nuit là le Lancaster DS668 a priori par dessous et par l'arrière. Ses tirs enflammèrent les ailes ce qui provoqua l'évacuation de l'appareil par l'équipage. C'était vraisemblablement la 3e victoire aérienne d'Erich Gollasch. Le 26 juin 1943, Gollasch abattit un autre Lancaster au nord-ouest d'Angers, très probablement le DS663 du même Squadron 115 tombé à Grez Neuville, ainsi qu'un autre le 28 juin 1943, également à l'ouest d'Angers, très probablement le ED377 du Squadron 101, tombé à Angrie. Gollasch fut porté disparu sur le front de l'Est en septembre 1943.
Vous pouvez découvrir un article sur le IV. Gruppe de la NJG 5 (auquel appartenait la 11./NJG 5) sur les lettres dinformation n° 10 et n° 11 de notre association ABSA 39-45, articles rédigés par Frédéric Hénoff : Lettre d'information no 10 - Avril 2019 et Lettre d'information no 11 - Mai 2019.
* NJG : Nachtjagdgeschwader (Escadre de chasse de nuit).
ANNEXES
♦ Document de Gendarmerie du 21 juin 1943
(source documents : Archives Départementales de Loire-Atlantique)
♦ Rapport de perte No. K. 65 daté du 13 octobre 1943
(source documents : The National Archives)
- document AIR-14-1442-450 & 451
♦ Operational Record Book du Squadron 115 pour le mois de juin 1943
(source documents : The National Archives)
- document AIR-27-895
sur ce document, il est indiqué que deux groupes de Lancaster du Squadron 115 furent envoyés en mission le 19 juin 1943.
Toutefois, des erreurs figurent sur le doculment :
- Mildenhall : les avions ne décollèrent pas de la base RAF Mildenhall mais de celle de East Wretham, à 20 mils au nord-est de Mildenhall
- il est indiqué 10 puis rectifié à la main 9 Lancasters envoyés sur "Deodars". 9 avions furent effectivement envoyés sur l'estuaire de la Gironde.
- les 3 Lancasters (parmi lesquels notre DS668) furent envoyés sur "Cinnamon" et non "Cinnkvon", c'est à dire la zone de La Rochelle.
- document AIR-27-890-11
Il est indiqué que 3 avions décollèrent entre 22h19 et 22h30 pour une opération de largage de mines sur le secteur de La Rochelle
et que l'un d'entre eux (notre DS668) n'est pas rentré. Les deux autres avions réussirent leur largage.
Les 9 autres avions accomplirent leur mission avec succès dans le secteur de l'estuaire de la Gironde.
L'un d'eux subit quelques dommages suite à une attaque de chasseur.
La flèche rouge indique, en 3e ligne, l'avion DS668 puloté par Derek Frank Paston BROWN.
- document AIR-27-890-12
Sur ces deux pages sont listés les 12 avions et leur équipage.
Concernant le Lancaster DS668, code KO-R, il est indiqué qu'il décolla à 22h19 et que malheureusement il ne revint pas.
11 avions seulement rentrèrent à la base vers 4h40 le 20 juin (flèche rouge).
♦ Rapport d'évasion des Sergeant SHEPPARD et TROTT
(source documents : The National Archives)
- document WO-208-3315-28
Sources :
France Crashes 39-45
Archives Départementales de Loire-Atlantique à Nantes
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