21 mai 1944

Supermarine SPITFIRE LF Mk IXC
MJ907 (code DU-A)

Laurenan/Saint Jacut du Méné (22)

(contributeurs : Philippe Dufrasne, Jean-Michel Martin (ABSA 39-45), Frédéric Hénoff (ABSA 39-45), enquête de Jimmy TUAL, membre de l'A.F.M.D. 22 et de l'ABSA 39-45
)

Squadron 312 raf
312 (Czechoslovak) Squadron RAF
"NON MULTI SED MULTA’"
"Peu d’hommes mais de nombreux actes’’

Spitfire mj907 robert ossendorf sqn 312 royal air force

Pilote :


Warrant Officer. OSSENDORF Robert
312 (Czech). Royal Air Force Volunteer Reserve (Evadé)

L'HISTOIRE

Dimanche 21 mai 1944. Laurenan, Saint Jacut du Méné, Côtes d’Armor.
Atterrissage forcé d’un Spitfire de la Royal Air Force piloté par le Warrant Officer Robert Ossendorf du No. 312 (Czechoslovak) Squadron (RAF). 
Contexte historique : les 29 et 30 septembre1938 sont signés les "Accords de Munich’’ entre le chancelier allemand Adolf Hitler et le premier Ministre anglais Neuville Chamberlain, ainsi que le Président du conseil Français qui est aussi Ministre de la défense Edouard Daladier. Le dictateur italien Mussolini est présent, désigné par Hitler comme observateur. Il est à noter l’absence du Président Tchèque Edvard Benes pourtant concerné directement par cet accord car le troisième Reich réclame l’annexion du territoire sudète à l’Allemagne. Ce qui lui sera accordé.


Statue d'Edvard BENES à Prague

Le secrétaire du parti communiste de l’union Soviétique Joseph Staline n’a pas été convié. Cet accord met fin à la crise dite des "Sudètes" et signe par le fait la fin de la Tchécoslovaquie. Ni la France, ni l’Angleterre ne voulaient une guerre en Europe ce qui les incita à signer cet accord de paix. La France avait signé un traité d’alliance avec la Tchécoslovaquie le 24 janvier 1924 . Ce traité des Accords de Munich ne fût que pure utopie puisque Hitler viola cet accord le 15 mars 1939 en envahissant massivement tout le territoire Tchécoslovaque. Dans ce pays 4 000 soldats se refusèrent à cette situation du désespoir. Ils ne voulurent pas voir leur nation tomber sous les coups de ce dictateur allemand. Ils n'étaient pas assez nombreux pour organiser une riposte. La seule solution pour ces jeunes hommes fût la fuite, de manière à envisager une réorganisation dans un pays ami. Pour ces soldats c’est l’exil qui commence. Beaucoup d’entres eux rejoignèrent dans un premier temps la France mais aussi les colonies françaises. D’autres rejoignèrent directement l’Angleterre. Souvent le parcours de fuite sera long et difficile, dangereux aussi ; l’objectif recherché était d’atteindre les ports de Pologne pour s’y embarquer si possible, souvent dans des conditions périlleuses. Le trajet s’effectuera pour beaucoup dans des wagons de marchandises, y compris ceux transportant le charbon. Tout ceci sur une distance d’environ 600 kilomètres. Parmi ces jeunes soldats Tchécoslovaques, figurent quelques aviateurs, pour la plupart déjà habitués à piloter, d’autres ayant eu seulement un début de formation. Nous allons nous intéresser à l’un d'entre eux. Le Warrant Officer pilote Robert Ossendorf né le 29 juillet 1916 à Všeruby prés de Plzen (Nord de la République Tchèque). Engagé dans le 312ème Squadron Tchèque au sein de la Royal Air Force, matricule : 787590 (189 192). Il était âgé de 24 ans. Le Warrant Officer Ossendorf quitta rapidement son pays pour rejoindre la France. Il se retrouva sur la Base Aérienne d’Istres, dans les Bouches du Rhône, où il suivit un complément de formation de pilote, ayant déjà appris à voler dans son pays.


Le Warrant Officer OSSENDORF, se trouve au fond, le deuxième à gauche.

Il est enrôlé le 2 octobre 1939. En mai 1940 plusieurs aviateurs Tchèques combattrons avec l’Armée de l’Air Française pendant la bataille de France. Il n’est pas possible de retrouver trace de sa participation à ces combats mais on est en droit de le penser affirmativement car à la fin de la guerre, il recevra la Croix de Guerre Française avec Palmes. L’invasion Allemande du territoire Français s’accentuant, les forces Armées Françaises quittent notre pays pour pouvoir répondre à l’appel du général de Gaulle (le 18 juin 1940) et se réorganiser ailleurs. Les pilotes Tchèques font de même. Le Warrant Officer Ossendorf arrivera à Casablanca, Maroc, le 28 juin 1940 avec 187 soldats tchèques il quitte ce port en vue de rejoindre l’Angleterre via Gibraltar à bord du ‘’Gib El Dersa’’, navire de commerce appartenant à la compagnie Maritime Midland and Scottish Railway (LMS). Après quelques jours d’escale à Gibraltar le 5 juillet 1940, ils repartirent vers l’Angleterre à bord du "Cidonia". Ils arrivèrent à Liverpool le 16 juillet après 11 jours de mer sans encombre. Immédiatement le groupe des aviateurs rejoignit la base de Duxford dans le Cambridgeshire (abrégé Cambs), où il reçurent à nouveau une formation adaptée au pilotage des chasseurs Hurricane. Les 6 squadrons Tchèques participèrent activement à la stratégie de combat alliée. Affectés tout d’abord à la surveillance et à la protection de la base maritime de Scapa Flow (nord de l'Ecosse), ils participerons aussi aux grands événements de la Seconde Guerre Mondiale, débarquement de Dieppe, D-Day … Ces escadrons changeront régulièrement de base suivant l’évolution du conflit. Dimanche 21 mai 1944, le Warrant Officer Robert Ossendorf est désigné pour une mission de reconnaissance, appelée Ramrod 905, mission de reconnaissance armée avec attaque de cibles ennemies à l’opportunité.

Czech war cross 1939 ossendorf


Robert OSSENDORF pilota son Spitfire LF.Mk.IXC (MJ907) codé DU-A. Douze pilotes du 312 auxquels se joignirent des pilotes des 310 et 313 (en tout 37 pilotes tchèques) partirent au combat au dessus de la France. Tous décollèrent de la base d'Appledram, dans le Sussex, au sud-est de l’Angleterre.

La traversée de la Manche se passe sans problème. Le Warrant Officer Ossendorf à reçu sa mission, qui commence aux abords du Havre en Seine Maritime. Il sait que les défenses aériennes sont particulièrement intenses pour la protection du port. Quand soudain son avion est touché par un obus Allemand lorsqu’il attaque en piqué une cible ennemie à l’Est de la ville. Sa mission continue car il ne remarque rien qui ne puisse gêner la bonne marche de son "Spit". Comme prévu il se dirige vers Caen, puis Cherbourg d’où il opère une descente vers le bas du Cotentin. Puis ensuite il se dirige vers le centre Bretagne. Quand soudain, que se passe t-il ? a-t-il été touché de nouveau ? Suite à l’impact de cet obus l’avion se retrouve t’il avec un problème majeur ? Pas de réponse. Il est dans l’obligation de pratiquer un atterrissage d’urgence en territoire occupé. Le Warrant Officer Ossendorf a déjà été confronté à ce genre de situation. Le 26 janvier 1942 au cours d’un vol d’entraînement au dessus de l’Angleterre, il se retrouva avec un sérieux problème moteur qui l’obligea à se poser dans un champ. Ce 21 mai 1944, lorsqu’à nouveau il est confronté à la même situation d’urgence, il se trouve à la verticale de la commune de Laurenan, Côtes du Nord à l’époque. Il est environ 12 heures 30, 13 heures. Le pilote tourne en rond recherchant une prairie où il puisse se poser. Après un bref repérage, il perd de l’altitude et, au lieu dit "La Grande Lande", proche du village de "La Sauvagère", pose son avion dans cette prairie toute en longueur parallèle au ruisseau appelé "Le Ninian". L’avion se pose, occasionnant des dégâts au train d’atterrissage, une roue s‘étant détachée. Le pilote s’en sort bien mis à part une blessure dans le creux d’une de ses mains.


Le "Spit" du Warrant Officer Ossendorf s'est posé en paralléle de la haie en bas. En haut à droite le village de "La Sauvagère"

TÉMOIGNAGES

Monsieur Lessart

Il faisait beau. Nous avons vu cet avion, tourner, très bas, comme s’il voulait atterrir, puis plus rien. C’était en milieu de journée. Au dessus de la petite vallée du "Ninian". Les allemands sont arrivés très vite, nous empêchant d’approcher. Ils ont même tiré sur des gens qui arrivaient au loin, sans les toucher heureusement, le Warrant Officer Ossendorf est sorti immédiatement de sa carlingue. Lors de son atterrissage forcé, il a été blessé à un bras et, dans sa seconde main, il s'arme de son colt et s'échappe avant l'arrivée des allemands. Il s’est précipité rapidement vers le village de la "Sauvagère" tout proche. Les habitants lui on donné un axe pour fuir car peu de temps après, l’ennemi était sur place. Le pilote s’était mis à l’abri dans des taillis et avait entamé une fuite vers le nord en longeant le ruisseau. Les allemands ont fouillé et refouillé le coin, ils ont même cherché la roue de l’avion très longtemps jusque dans les maisons, sans la trouver. Sans doute dans le choc avait-elle terminé sa course dans des fourrés. Le pilote Tchèque se retrouve seul dans cette campagne bretonne. Il va devoir mettre en application ce qu’on lui a enseigné en matière de survie en territoire ennemi. Après avoir marché et s’être caché, il arrive au village de "La Hutte à l’Anguille", près de la chapelle Saint-Louis. Il entre dans la cour d’une ferme.


"La Hutte à l’Anguille", près de la chapelle Saint-Louis

Madame Even, née Mounier
Nous avons été surpris de voir cet homme jeune arriver chez nous dans cet accoutrement. Nous avons eu très peur. Notre père était très inquiet et quelque peu désemparé dans cette situation imprévue. De plus il ne parlait pas notre langue. Comment se comprendre ? Rapidement, mon père dit à ma sœur, plus âgée que moi, de le guider, de le faire traverser la route proche, qui de plus était très fréquentée par les allemands, et ensuite de le conduire un peu dans la campagne en dehors du village. Ma sœur le quitta dans un champ près du chemin menant au village du "Beaujaune" en Saint Jacut du Mené, ma sœur revint et dit à mon père qu’il était parti.

Madame Guillot
Nous exploitions une ferme au village du "Beaujaune". C’était la guerre. Mon père était prisonnier en Allemagne. Nous aidions notre mère, malgré notre jeune âge, aux taches de tous les jours. Ce jour là, je m’en rappelle comme si s’était hier. Je venais de conduire les vaches par le chemin creux qui menait à "La Hutte", dans une de nos prairies à environ 500 mètres d’ici. Après avoir fermé, je venais juste de commencer mon chemin de retour pour venir chez nous, que j’entendis derrière moi des pas. J’eus très peur. Je me suis retournée, et j’ai vu ce grand homme, jeune, que je ne connaissais pas. Il portait des habits que je n’avais jamais vu. Je n’ai plus bougé, il s’est approché de moi et m’a parlé dans une langue que je ne connaissais pas. J’ai juste compris le mot ’’Hutte’’ qu’il avait prononcé plusieurs fois. En réalité il me disait venir de ce village, mais je ne le comprenais pas. Je lui ai indiqué la direction de la ‘’Hutte’’ et il est parti en longeant le talus bordant le chemin qui, à cette époque, n’était pas la belle route actuelle. Qu’elle ne fût pas ma surprise, un peu plus tard, dans l’après-midi de le voir traverser notre village en compagnie d’un homme de la résistance, Monsieur Pierre Rétif. Il m’adressa la parole, dans sa langue , mais je comprenais bien qu’il me disait l’avoir mal conseillé. J’ai regretté, mais lorsque l’on ne parle pas la même langue ce n’est guère facile.

En effet le pilote s’était retrouvé de nouveau dans la cour de la ferme de Monsieur Mounier à la "Hutte". Ce dernier à nouveau inquiet de le voir revenir, appela un résistant pour qu’il puisse le cacher. Monsieur Pierre Rétif l’emmena chez Monsieur Joseph Rouxel, agriculteur au "Beaujaune", pour voir si ce dernier pouvait héberger ce pilote quelques jours, le temps de trouver une solution.
Rencontre de Madame Simone Poilvert (100 ans). Ce pilote était d’origine tchèque et cherchait à se réfugier suite à la chute de son avion dans notre région. Le résistant Pierre Rétif le présenta à mon grand père, qui lui dit "qu’il n’avait pas peur des boches" et qu’il pouvait loger chez nous. Je me rappelle qu’il avait 28 ans, il avait tout brûlé dans notre foyer, y compris ses vêtements, ses équipements, ses cartes…tout ! Il a endossé aussitôt les vêtements de travail de Francis, mon mari. Il est resté caché chez nous trois semaines. Nous vivions dans la crainte d’êtres découverts et d’être fusillés par les allemands. Il n’était pas question de laisser ce jeune sans protection, sans nourriture et sans abri. Il se cachait dans notre grenier le jour, la nuit il dormait au cellier. Il regardait toujours les avions qui passaient, et ils étaient nombreux à cette époque. Il avait voulu dès le départ savoir s’il y avait une porte pour fuir par l’arrière de la maison. Une fausse carte d’identité lui fût faite.
Remarquons la démarche courageuse de cette famille qui a tout fait pour protéger ce pilote, exposée elle-même aux risques de cette époque troublée. Lors de notre rencontre, jai présenté à madame Poilvert une phote du pilote, le visage de madame Poilvert s’est rempli d’émotion, "oui, c’est bien lui’’ dit elle, "je ne l’avais jamais revu".



M. et Mme Poilvert à la ferme de "Beaujaune"

Madame Guillot se rappelle d’une présence discrète de cet aviateur au "Beaujaune". J’ai le souvenir de le voir couper du trèfle avec Francis Poilvert, il menait aussi parfois le cheval par la bride. Monsieur Léon Poilvert se souvient de l’arrivée de ce pilote, c’était un dimanche. En fin d’après midi nous sommes rentrés chez nous après avoir assisté à la "Confirmation" de mon frère en l‘église de Saint Jacut du Mené. Mon grand-père nous annonça "Nous avons un Anglais chez nous". Nous avions été très surpris. Madame Simone Poilvert parle de la blessure qu’il avait dans le creux d’une main. Il fût soigné pendant son séjour chez nous. Les enfants connaissaient la présence de l’Anglais comme ils disaient, mais personne ne parla. Il fallut bien trouver une solution pour que ce pilote puisse quitter notre domicile car les risques étaient énormes. Des contacts furent pris avec l’abbé Poilbout, recteur de Saint Gilles du Méné, qui était un membre actif de la résistance. Une solution fût trouvée. Après ces trois semaines passées avec nous, Robert, toujours habillé dans des bleus de travail, partit en vélo accompagné par un résistant, Marcel Josse. Il rejoignit le groupe de résistants de Moncontour ayant pour chef Félix Veillet Deslandelles. Ce dernier dirigeait plusieurs sections. Le samedi 24 juin 1944, le Warrant Officer Ossendorf se trouve en compagnie d’un résistant Jean Kervella au village du "Vaulorin" en Trédaniel. Soudain aux abords du carrefour de la croix, ils aperçoivent un groupe d’une trentaine d’allemands qui se reposent sur le bord de la route qui va de Moncontour à Collinée. Ils décident de les attaquer par surprise. Ils ne sont que deux. Il est peu avant 22 heures. Ils ouvrent le feu. Les allemands ripostent soutenant un feu nourri. Un sous officier allemand est tué et gît dans le milieu du carrefour, son corps sera déposé dans l'église de Trédaniel en fin de soirée d’où il sera enlevé par l'occupant le lendemain matin, dimanche pendant la messe (Hans Arand, 33 ans, était né le 3 mai 1911 à Tossens - Wilhelmshaven - rapport de la gendarmerie, archives départementales des Côtes d’Armor aimablement confié par monsieur Alain Gallais).
Le Warrant Officer Ossendorf au cours de ce combat est blessé, il reçoit un balle dans une hanche. La balle est arrivée par derrière. Les deux résistants fuient. Les allemands sont à leur recherche. Les résistants bénéficient d’aide parmi la population. Ayant trouvé un refuge sûr, le blessé est soigné par une résistante, Aïde Richard, infirmière et agent de liaison du maquis (Croix de Guerre avec étoile d’argent, médaille de la Résistance (CVR). Le 28 juin il sera dirigé vers le Manoir de Bréfeillac en Pommeret, où madame Lucienne de Ponfilly l’accueillera parmi la centaine d’hommes qu’elle cache dans la foret autour de son manoir. 
Acte de courage de cette femme qui, aidée par la résistance, fera en sorte que ces hommes puissent se cacher et ensuite être sauvés.


Le manoir de Brefeillac où Robert Ossendorf a été opéré


Mme Lucienne Péan de Ponfilly

Monsieur de Ponfilly
Il n’y eut qu’une opération chirurgicale pratiquée ici pendant la guerre. Ma mère hébergeât un pilote d’origine tchèque ayant reçu une balle dans la hanche au cours d’un combat. Le Docteur Darcel de Broons, qui venait régulièrement voir les malades ici, pratiqua le retrait de cette balle logée dans sa hanche. Tout se passa bien mais le pilote fût refusé, dans un premier temps, pour un départ par Plouha, du réseau Shelburn en compagnie de deux pilotes Américains. Il partit, je crois au départ suivant.

Le retour du Warrant Officer Ossendorf est bien signalé le 29 juillet 1944 en Angleterre. Il signale d’ailleurs être rentré par bateau avec d’autres évadés. Il retrouvera sa Tchécoslovaquie en août 1945 où il sera affecté à Prague. Le 5 octobre il sera décoré de la 3ème et 4ème Croix de Guerre Tchécoslovaque. A son retour il demandera à changer de nom de famille. Cela lui sera accordé le 8 octobre 1946 par les autorités de son pays, alors qu’il est toujours actif au 312ème escadron. A partir de ce moment, il s’appellera Osensky Robert, il sera démobilisé fin 1946. Rentré dans la vie civile, il trouvera un emploi dans une compagnie aérienne civile, la CSA. Il s’établi dans le sud à Ceské Budejovice. En septembre 1948 il franchira la frontière illégalement et rejoindra le camp allemand pour l’immigration à Schwäbisch Gmünd près de Stuttgart (Bade-Wurtemberg). Il rejoindra l’Angletterre où il est supposé avoir travaillé à l’intelligence service. Il est décédé le 1er février 1955 à l’âge de 39 ans. Il est difficile de dire s’il est décédé dans ce pays et de quelle cause.

Je tiens à remercier la famille Poilvert, Monsieur et Madame Even, Madame Guillot, Monsieur et Madame Bedel pour leur aide et témoignage. Merci également à Jiri Trojan, historien Tchèque, résidant à Pardubice (République Tchèque).
Merci à Monsieur Alain Gallais. Remerciement à Monsieur De Ponfilly pour son accueil et son témoignage.

Jean Michel Martin. Association Bretonne du Souvenir Aérien 39-45, le 27 août 2010. Photos Jean Michel Martin.

Source documentation : Jirí Trojan
1. J. Rajlich: On the Albion Sky, part 5, page 258, 272, 273, 274-21.5.1944 the most black day in history of Czechoslovak Wing, Ramrod 905

2. J. Rajlich: On the Albion Sky, part 7, page 672

Dossier web, Daniel Dahiot

En 2014, Jimmy Tual, des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (A.F.M.D. 22) rencontre Madame Suzanne Goré à Saint-Vran. Son père Eugène Moulin, né en 1900, est porté disparu depuis 1944 et elle pense qu'il a pu être déporté. Jimmy Tual reprend le dossier depuis le début en lien avec Jean Michel Martin de l'A.B.S.A. 39-45. Puis en août 2020, Jimmy Tual et Frédéric Hénoff (ABSA 39-45) complètent la biographie de Robert Ossendorf grâce à de nouvelles informations. Voici le résultat de leurs investigations :

La famille Moulin est cependant inquiétée, probablement victime d'une délation. Le S.D. de Saint-Brieuc arrive à La Haie le 29 juin pour arrêter le père Eugène et le fils Robert. La ferme est brûlée mais seul Eugène est pris. Il est emmené le jour-même au quartier allemand de la maison d'arrêt de Saint-Brieuc. Sur les registres de la prison, 18 hommes dont Eugène sont indiqués comme étant transférés le 10 juillet 1944 à Rennes, partis à 6h30. 17 corps sont enterrés le 10 juillet vers 8 heures dans le bois de Malaunay à Ploumagoar. Le corps d'Eugène Moulin n'a cependant jamais été retrouvé. Son nom est tout de même inscrit sur le monument des fusillés de Malaunay car on considère qu'il est parti avec les 17 autres.


Eugène Moulin

En 2015, Jimmy TUAL consulte des documents des Archives Départementales des Côtes-d'Armor concernant la commune de Plélo et retombe sur un dossier déjà consulté en 2012. Il y est fait état par les Gendarmes de la découverte du corps d'un homme inconnu abattu par les Allemands le 9 juillet 1944 et retrouvé peu après. Fait rare, le dossier comporte une photographie du cadavre. Et là, une ressemblance évidente le frappe. Cet homme ressemble énormément à Eugène Moulin. Toutes les personnes contactées constatent avec la même surprise cette situation étonnante. Sa fille et ses neveux sont contactés et reconnaissent formellement, avec l'émotion qu'on imagine, Eugène Moulin.


Le corps découvert à Plélo le 9 juillet 1944

Une longue démarche est lancée auprès du Procureur de la République des Côtes-d'Armor, s'appuyant sur une enquête historique minutieuse qu'il n'est pas possible de détailler ici. Mais les éléments concordants sont nombreux (éléments physiques comme la taille et éléments vestimentaires).

Comparons ci-dessous les indications principales entre notre possession sur Eugène Moulin et l'inconnu retrouvé le 9 juillet 1944 à Plélo. Je fais apparaître en gras les éléments concordants.

Informations sur Eugène Moulin (44 ans) au moment de sa disparition Informations sur l'inconnu du 9 juillet

Taille : 1m61 (1)

Le 8 juillet, son épouse lui apporte un dernier colis de ravitaillement et un colis de linge à la maison d'arrêt de Saint-Brieuc. "Il a gardé le colis de ravitaillement et comme linge il a conservé une chemise, une flanelle, un pull-over en laine bordeaux, un mouchoir, une serviette de toilette et il a remis le linge dont il ne se servait pas" (2)

Après sa disparition, sa famille décrit sa tenue à la Croix-Rouge. Il est habillé d'une "culotte de velours vert foncé et d'un veston bleu en molesquine usagée, il était chaussé de gros souliers montants et de chaussettes bordeaux, une chemise blanche rayée de bleu et comptant de nombreuses pièces, une flane. (3)

Taille : 1m65 environ

L'homme est âgé d'une quarantaine d'années, il mesure 1m65, il est brun. Il porte un paletot en coton bleu de la marque "Mont-Saint-michel"une chemise à rayures bleuesun chandail en laine marron neuf, un pantalon de velours marron, des chaussures neuves avec des clous (une paire de souliers cloutés), au bout de chaque soulier se trouvent 5 gros clous "dents de vache" (4).


C'est la date inscrite sur le registre de la prison de Saint-Brieuc (le 10 juillet) qui a induit tout le monde en erreur depuis 1944. Début décembre 2017, l'inconnu de Plélo est enfin reconnu comme étant Eugène Moulin en date du 12 juin 2017. Un mystère éclairci et un deuil possible pour une famille.

En 2016-2017, deux classes de 3ème du collège public Per Jakez Helias de Merdrignac ont travaillé avec Jimmy Tual sur cette période en menant une enquête historique sur la disparition d'Eugène Moulin en se rendant notamment au musée de Saint-Connan, à La Butte Rouge à L'Hermitage-Lorge et aux Archives Départementales dans le cadre du dispositif Retour aux sources d'archives. Cette année 2017-2018, un nouveau travail inter-disciplinaire est mené avec trois classes de 3ème plus centré sur le parcours de l'aviateur dans le cadre du CNRD. Jean Michel Martin est également à chaque fois venu faire une conférence à destination des élèves pour retracer le parcours de Robert Ossendorf.

(1) Fiche matricule d'Eugène Moulin, année 1922, bureau de Sant-Brieuc, matricule 115.
(2) ADCA 165J2 Canton de Merdrignac, rapport de la Croix-Rouge française sur l'affaire Eugène Moulin certifié par plusieurs témoins et le maire.
(
3) ADCA 165J2 Canton de Merdrignac, rapport de la .Croix-Rouge française sur l'affaire Eugène Moulin certifié par plusieurs témoins et le maire..
(4) ADCA 2W80 Commune de Plélo, rapport n°249 de la Brigade de Gendarmerie de Châtelaudren des 9 et 10 juillet 1944.

Résumé de l'enquête menée par Jimmy Tual, membre de l'A.F.M.D. 22 et de l'A.B.S.A. 39-45 Janvier 2018

LE PARCOURS DE ROBERT OSSENDORF


Robert Ossendorf (Source : © famille Ossendorf - John, via Jimmy Tual).

Robert Ossendorf naît le 29 juillet 1916 à Všeruby en Tchécoslovaquie, prés de Plzen, au nord de l'actuelle République Tchèque. Il est le fils de Viktor, sergent de police, et de Martha. Le couple a eu cinq enfants. Après le décès de Martha, son père se remarie avec Emilie Kroft et un sixième enfant naît, Eliška. Robert commence l'école primaire à Všeruby en 1922 puis intègre l'équivalent du niveau secondaire en 1927 à Vysoké Mýto.


Robert Ossendorf avec ses soeurs Emilska, Vera, Eliska et Miroslava (Source : © famille Ossendorf - John, via Jimmy Tual).

En 1929, la famille déménage à Holešov où Robert travaille comme chef d'un bureau de police. Robert intègre ensuite une autre école à Holešov pendant deux ans. Il commence ensuite à travailler comme vendeur dans l'épicierie d'Olomouc. En 1936, il commence à fréquenter l'aéroclub local et prend des cours de pilotage. En septembre 1936, il se rend au centre d'entraînement militaire de Prost?jov jusqu'en 1938.


Viktor Ossendorf avec sa seconde épouse Emilie et leurs enfants. La plus jeune Eliska avec sa mère. L'aînée Emilie est à gauche avec sa soeur Miroslava. Sur la droite on peut voir Vera avec ses couettes, Richard et Robert le plus à droite (Source : © famille Ossendorf - John, via Jimmy Tual).

Le 15 mars 1939, Adolf Hitler envahit la Tchécoslaquie violant ainsi les accords de Munich signés le 30 septembre 1938 entre l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie . Comme 4 000 soldats, Robert Ossendorf refuse d'accepter cette invasion. Ces hommes déterminés tentent ainsi de rejoindre la France ou le Royaume-Uni pour poursuivre le combat. Le trajet est périlleux pour atteindre tout d'abord les ports de Pologne. Robert Ossendorf refuse cette annexion. Il quitte le pays et franchit la frontière polonaise le 15 juin 1939, passe à Cracovie puis embarque le 29 juillet 1939 au port de Gdynia à destination de la France. Le 1er septembre 1939, il est enregistré au groupe de l'Armée de l'Air à Agde (34). Il est affecté à l'école de l'Armée de l'Air de La Rochelle (17). Du 18 janvier au 15 mai 1940, il rejoint la Base Aérienne d’Istres (13) où il suit un complément de formation de pilote.

Le 21 mai 1944, l'aviateur tchécoslovaque Robert Ossendorf, dit Bob réalise une mission de reconnaissance avec attaque de cibles ennemies à l'opportunité (mission Ramrod 905) à bord de son Spitfire Mk IXc. Son appareil est touché dans le secteur du Havre. Ne remarquant rien de particulier, il poursuit vers Cherbourg, Caen puis la Bretagne. Mais il doit opérer un atterrisage d'urgence le long du Ninian à La Sauvagère à Laurenan. Il parvient à fuir et échappe à la capture. Après une nuit caché dans un bois, il se dirige vers La Hutte à Languille. Pris en charge par les Mounier et le Résistant Pierre Rétif, il est caché chez les Poilvert au Beaujaune à Saint-Jacut-du-Mené. Il y reste jusqu'au 20 juin. Un groupe de Résistants vient alors le chercher. Ils se rendent chez les Moulin à La Haie à Saint-Vran. Le fils, Robert (1924-2010), est en lien avec la Résistance. Les Résistants veulent s'installer dans la cour de la ferme. La famille proteste mais le chef s'impose et lui donne un bon de réquisition. Le groupe de Résistants repart le lendemain après-midi. L'aviateur est pris en charge par l'O.R. 14 à Moncontour (maquis des Salles à Hénon, décimé le 9 juillet 1944) puis à Bréfeillac à Pommeret et est évacué par le Réseau Shelburn à Plouha dans la nuit du 12 au 13 juillet 1944.

En 1945, un extrait de l'ORB (Operation Record Book) du No.312 Squadron mentionne le retour de Robert Ossendorf "au pays" :


Extrait de l'ORB du Squadron 312 de la RAF

(Source: ORB No312 Sqdn, June to September 1945 - The National Archives' reference AIR 27/1694/35 via Frédéric Hénoff, ABSA 39-45)



Carte aérienne de Robert Ossendorf (Ossenský) 

avec l'aimable autorisation des Military Central Archives – Military Historical Archives Prague
en tchèque: Vojenský úst?ední archiv – Vojenský historický archiv Praha resp. VÚA – VHA Praha
Site internet : VOJENSKÝ ÚST?EDNÍ ARCHIV

Aérodrome de MANSTON, 1945
7 août
07.00
Briefing final pour les commandants de Squadrons.
07.40 Départ et roulage des avions depuis le dispersal.
08.00 Le Wing tchèque décolle. Avec un ciel dégagé, le Wing tchèque a effectué son dernier vol
au départ de ce pays et, après s'être rassemblé, a survolé l'aérodrome en formation parfaite.
En premier, une section de 6 avions dirigée par le W/C HLADO, D.F.C., suivie par le 312e Squadron dirigé par le S/L HRBACEK, D.F.C.
Puis viennent le 310e Squadron dirigé par le S/L HARTMAN et le 313e Squadron dirigé par le S/L KUCERA et enfin
12 avions des trois Squadrons dirigés par le F/L KASAL. Les pilotes de ce Squadron étaient :
Section Rouge : - S/L HRBACEK, D.F.C., F/S PROKOPEC, P/O BILEK, F/ VAVRIK.
Section bleue : - F/L PIPA, F/O OSSENDORF, F/O SMOLKA, P/O LISKA.
Section jaune : - F/L DVORAK, W/O KOVAC, F/L MIKULECKY, P/O HOLZNER.
Section Kasal : - F/L KASAL, F/O TESINSKY, F/L POSTA, P/O BEDNAR, W/O SKRINAR.
Le Wing a reçu l'ordre de se rendre à Hildesheim (près de Hanovre) pour s’y poser, se ravitailler en carburant et décoller
après le déjeuner afin de rejoindre les 15 Liberators du 311e Squadron, de les accompagner à Prague et d'y faire
un "Fly Past" (note : un défilé aérien au-dessus de la ville) si le carburant le permet.
10.30 On apprend qu'en raison des conditions météorologiques sur le continent, les Liberators ne pourront pas
prendre l’air et les Spitfires reçoivent l'ordre de rester à Hildesheim pendant au moins 24 heures.
Restant à Manston, les pilotes des trois Squadrons qui s’envoleront plus tard avec les
avions de réserve. Le temps est beau en début de matinée, il se transforme rapidement en pluie et en nuages bas.

8 août
Les Liberators ne pouvant pas décoller, les Spitfires restent à Hildesheim.
Le temps est terne et nuageux. Orage plus tard.

9 août
Le décollage des Liberators est de nouveau reporté et les Spitfires sont également cloués au sol.
Forte pluie le matin et mauvaises conditions météo au cours de la journée.

10, 11, 12 août
Aucune activité.

13 août
Les Spitfires sont partis d’Hildesheim et sont arrivés à Prague vers 17 heures.

14, 15, 16, 17 août
Aucune activité.

18 août
Le Auster III piloté" par le F/S Mochek, en compagnie de 2 autres Auster, décollent à 06.30 pour
Prague, avec l'instruction de faire 5 arrêts en route pour ravitailler en carburant. 
Le temps est terne et nuageux.

Robert Ossendorf est rentré dans son pays natal le 13 août 1945 aux commandes d’un Spitfire du No.312 Squadron. Le Squadron est dissous le 22 septembre 1945 à ?eské Bud?jovice et devient le Letecký pluk 4 (4e Régiment Aérien), qui fait partie de la 2. letecké divize (2e division Aérienne). Durant cette affectation il épouse Mademoiselle Markéta Reinischová et à l’automne 1946 nait leur fils Petr. En 1947 il quitte l'armée et rentre comme pilote de ligne à la compagnie aérienne nationale Tchèque ?SA (?eské aerolinie a.s.). Après le coup de Prague (la prise de contrôle de la Tchécoslovaquie en février 1948 par le Parti communiste tchécoslovaque, avec le soutien de l'Union soviétique), en septembre 1948 il franchit la frontière avec l'Allemagne.

Ce qu’il advient de lui ensuite n’est pas connu mais selon des informations non confirmées mais crédibles, après son passage de la frontière et un court séjour dans le camp de réfugiés de Gmund (ville au sud de Munich), il part pour la Grande-Bretagne et rejoint les services secrets britanniques. Il effectue des vols au-dessus de l'Union soviétique depuis des bases britanniques du nord de l'Allemagne, vols durant lesquels il lui arrive de larguer des agents depuis le Dakota qu’il pilote. Robert Ossendorf décède le 2 février 1955 sur l'île de Sylt dans le nord de l'Allemagne (la RAF Station Sylt ?). Il est inhumé au cimetière militaire d'Ohlsdorf à Hambourg. Robert Ossendorf (devenu Osenský) a été en 1991 civilement et officiellement réhabilité.


En août 1945, les quatre Squadron tchécoslovaques de la RAF, les No.310, 311, 312 et 313 Squadron sont transférés en Tchécoslovaquie et intègrent les forces armées tchécoslovaques. Les Spitfires ont été les principaux avions de chasse de la Tchécoslovaquie jusqu'au coup d'État de Prague de 1948, après quoi le Parti communiste Tchécoslovaque a purgé le personnel de l'armée de l'air qui avait servi dans la RAF. De nombreux ex-membres de la RAF ont été jugés sur de fausses accusations et condamnés à de longues peines de prison.



La tombe de Robert Ossendorf à Hambourg.
with courtesy of © Ralph McLean - South Africa War Graves Project

Un doute subsiste sur la date et les circonstances précises du décès de Robert Ossendorf. Il décède le 20 août 1954 (écrit sur sa tombe) ou le 1er février 1955 probablement à la station Sylt de la R.A.F. Il est inhumé dans le cimetière militaire britannique d'Ohsldorf à Hambourg, Carré 11, rang B, tombe n°1C.

TRANSMETTRE L'HISTOIRE

En octobre et novembre 2019, l'ABSA 39-45 a eu le grand plaisir de participer à la tournée de lancement du film "Le réseau Shelburn" dans les cinémas de Bretagne et de Loire-Atlantique (film du réalisateur breton Nicolas Guillou). Présente dans de nombreux cinémas pour accueillir les spectateurs lors des avant-premières, l'ABSA 39-45 a eu l'immense honneur d'intervenir le 5 novembre au collège Saint-Joseph de Châteaubriant (44) auprès d'une centaine de lycéens pour présenter le parcours de Robert Ossendorf, qui s'évada par le réseau Shelburn en juillet 1944. C'est bien évidemment notre ami Jean-Michel Martin qui présenta avec brio et en un temps record l’histoire de ce pilote Tchèque de la RAF tombé à Laurenan le 21 mai 1944, en présence du réalisateur du film, Nicolas Guillou.



Jean-Michel Martin présente l'histoire de Robert Ossendorf au Lycée Saint-Joseph de Châteaubriant (44), le 5 novembre 2019 à l'occasion de la sortie du film "Le réseau Shelburn", du réalisateur breton Nicolas Guillou.
(photos ABSA 39-45 - Benoit Paquet)

 

 

 

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