11 juin 1940

Armstrong Whitworth Whitley MkV (N1362 - code KN-Q)
"La Boulardière" - Lignières-Orgères (53)

(contributeurs : John Ombler, Philippe Dufrasne, France Crashes 39-45)


Bombardier Armstrong Whitworth Whitley Mk V N1352 du No. 77 Sqn
San Diego Air and Space Museum Archive - Charles Daniel photo collection

Equipage (No. 77 SQN, RAF)
tous les membres d'équipage sont enterrés au cimetière communal de Lignières-Orgères

- Sergeant (pilote) Norman Martin SONGEST, 23 ans, tué.
Né le 1er mars 1917.
Royal Air Force, matricule 580330.

- Sergeant (pilote) Philip Henry James BUDDEN, 26 ans, tué.
Né le 4 décembre 1913.
Fils de Julian Evlyn et Mary Budden, et conjoint de Ann Elizabeth Budden, de Birmingham.
Royal Air Force Volunteer Reserve, matricule 742113.
 

- Sergeant (Opérateur radio/mitrailleur) Ronald Charles ASTBURY, 20 ans, tué.
Fils de Charles George et Ethel Caroline Astbury de Cosham, Hampshire.
Royal Air Force, matricule 630781.

Ronald Charles ASTBURY
Photo © Johan Pauwels


- Sergeant (Opérateur radio/mitrailleur) Edward OMBLER, 18 ans, tué.
Fils de John Denman et Isabel May Ombler, de Hull.
Royal Air Force, matricule 633791.

Edward Ombler
Photo collection John Ombler
​​​​​
- Sergeant (Observateur) Alexander FINDLAY, 28 ans, tué.
Fils de Alexander et Maggie Findlay, d'Edinburgh.
Royal Air Force Volunteer Reserve, matricule 749540.

L'HISTOIRE

Décollage à 14h00 de la base RAF de Driffield, dans le Yorkshire. La mission était une attaque des usines Fiat à Turin, via Jersey pour refaire le plein de carburant. Les avions devaient voler de Driffield à Poole puis Jerseay. Tous les avions arrivèrent à Jersey et ils en redécollèrent à partir 20h00 à 10 minutes d'intervalle jusqu'à 21h45. Ils devaient franchir la côte française à Saint-Cast [de Guildo]. A cause de problème de glace à haute altitude (au dessus de 10 000 pieds), la plupart des équipages rencontrèrent des problèmes moteurs et la mission échoua. Les avions rencontrèrent également des orages électriques et sur la cible une Flak intense. Malheureusement, l'équipage du Sergeant SONGEST fut porté disparu.

Divers témoignages de civils révèlent que cette nuit là, un avion en difficulté, arrivant de Ciral (dans l'Orne voisine), s’écrasa à la Boulardière, non loin de Lignières-Orgères. Le lendemain, les débris fumants et les corps des membres d’équipage jonchaient encore les lieux. Ils restèrent ainsi plusieurs jours à cause du chaos lié à l'approche des Allemands (nous sommes le 11 juin 1940). La population vivait des moments dramatiques, beaucoup ayant déjà fui. Quelques temps après, des soldats allemands vinrent évacuer le village pour faire exploser les bombes intactes.

Un document d'archives (voir annexes) nous informe également que dans un premier temps, les corps et restes des 5 aviateurs furent  séparés. Les corps de Songest et Budden furent emportés par la Croix Rouge Internationale dans un hopital au Mans, puis enterrés au cimetière du Grand-Lucé. Les corps furent identifiés par la chevalière de Songest, et le briquet de Budden. Les trois autres corps furent mis dans un grand cercueil et enterrés dans le cimetière communal de Lignières-la-Doucelle. 

EDWARD OMBLER


Un article de journal paru vraisemblablement en 1940, nous informe qu'Edwatd Ombler
rejoignit la RAF à l'âge de 17 ans alors qu'il travaillait pour la société Oxide, à Stoneferry,
dans la banlieue de Hull.Il avait étudié à l'école de l'avenue Brunswick, à Hull.

John Ombler, neveu d'Edward Ombler, nous a transmis pour notre plus grand plaisir quelques photos d'Edward Ombler et de sa mère. Il nous a semblé important de lui rendre hommage en publiant ces photos.
La maison familiale d'Edward Ombler se trouvait sur Newbridge Road, à Hull. Il avait une sœur et quatre frères. Deux de ses frères, Alan et John, ont également servi dans l'armée britannique et ont survécu à la guerre. Alan était un survivant de Dunkerque. Peter Ombler (le père de John) était encore enfant (né le 30 septembre 1931 et mort en 2023). Après le crash de l'avion, peu de détails étaient connus en Angleterre et il était considéré comme porté disparu, présumé mort. Après la guerre, le gouvernement a déployé des efforts considérables pour retrouver et identifier les disparus. Edward était l'un d'eux. Ce n'est que bien plus tard que ses parents ont finalement découvert les détails.

   
Edward Ombler, un jeune homme d'à peine 18 ans, visiblement heureux d'être un aviateur
Photo collection John Ombler


Edward Ombler probablement avec ses camarades du No. 77 Squadron
Photo collection John Ombler


Edward Omber (à gauche) et son frère  Alan
Photo collection John Omber


Madame Ombler, mère d'Edward, devant sa boutique de Newbridge Road, à Hull.
Photo collection John Ombler


Madame Ombler dans sa boutique
Photo collection John Ombler

TEMOIGNAGES
♦ Lettre de Monsieur Henri Lemaître, de Lignières-Orgères, datée du 21 novembre 1980, à M. Peter Ombler, frère du Sergeant Edward Ombler tué le 11 juin 1940.

(document John Ombler)

" Monsieur et Madame P. Ombler,
C'est moi le fils de M. et Mme Lemaître qui répondrai à votre lettre.
Oui nous avons bien reçu votre lettre dès septembre ainsi que la photo et nous vous remercions beaucoup. Je vous prie d'excuser mes parents qui, en raison de leur âge, n'ont plus la possibilité de vous écrire.
Vous demandez des renseignements sur ce qui s'était passé au cours de cette tragique nuit du 11 juin 40. Je peux vous en fournir, car j'étais sur les lieux, je n'avais que 5 ans et pourtant je me souviens. Cette nuit là, ma mère m'avait sorti précipitament de la maison quand l'avion avait percuté le sol. L'explosion avait été grande, il était tombé à 250 mètres du village. Le lendemain, sur les lieux de la catastrophe, je revois des débris encore fumant d'un avion disloqué et éparpillés dans un rayon de 200 mètres et plus. Je revois aussi des hommes d'équipage morts. Les corps sont restés plusieurs jours sur place, les évènements dramatiques que la population vivait explique la raison pour laquelle personne ne songeait à faire enterrer les victimes ; les allemands n'étaient pas encore à Orgères mais le grondement du canon indiquait qu'ils approchaient et beaucoup de gens avaient fuis.
Je ne peux vous dire combien de jours ils sont restés, je ne m'en souviens pas. Par contre je me rappelle quelques temps après, des soldats allemands sont venus au village nous faire partir car ils voulaient faire exploser sur place plusieurs bombes qui étaient restées intactes. Je joins à cette lettre un clé trouvée dans les débris de l'appareil et oubliée dans un tiroir.
Si vous revenez en France, je me ferai un devoir de vous montrer l'endroit où il était tombé et mes deux enfants qui étudient l'anglais pourront nous servir d'interprète.
Avant de terminer je me permet de vous souhaiter ainsi qu'à votre mère un joyeux Noël et aussi mes meilleurs voeux de bonheur et de santé pour l'année 81.
Je vous prie de croire, M. et Mme Ombler, à mes sentiments les plus sincères.
M. Henri Lemaître.
"  


 

Lettre lemaitre 1
collection John Ombler

Lettre lemaitre 2
collection John Ombler

Parents lemaitre
M. et Mme Lemaître, parents d'Henri Lemaître, auteur de la lettre envoyée à P. Ombler
collection John Ombler

♦ "Souvenirs de guerre à Lignières".
(extrait d'un document d'André Robert - Source site France Crashes 39-45)

" Mardi 11 juin [1940], la nuit est tombée. Soudain on entend un bruit de moteur d’avion. On sort de la maison et l’on aperçoit un appareil qui paraît en difficulté : il vient approximativement de la direction de Ciral ; des lueurs sortent et l’on distingue des crépitements. Il semble perdre de l’altitude puis disparaît, une grosse explosion se produit puis plus aucun bruit. L’avion est-il allemand ? A-t-il lancé des bombes à retardement (il en était beaucoup question). C’était aussi une époque où l’on était peu familiarisé avec les avions… on le sera plus tard ! La nuit passe. Le mercredi matin, on apprend qu’un avion est tombé à La Boulardière, qu’il est anglais et qu’il en reste peu de choses. Il gît au milieu de la route, juste avant l’embranchement vers ce village ; les membres de l’équipage sont carbonisés. Il se dégage une drôle d’odeur de cette épave en grande partie brûlée, un parachute en triste état est accroché à une « raisse » située dans la haie à proximité de l’épave, et une aile a été projetée par l’explosion près de La Bousse. Cet avion fut gardé pendant quelques jours par des soldats français puis abandonné à son triste sort pour cause de retrait. Les Allemands occupant Lignières assurèrent la sépulture des restes des cinq aviateurs en les enterrant au cimetière à l’emplacement où ils sont actuellement.
Les croix en bois portaient l’inscription suivante :
« Hier Ruken 5 Englisch flieger »
« Ici reposent 5 aviateurs anglais »
".

IN MEMORIAM
♦ Tombes des aviateurs au cimetière de Lignières-la-Doucelle

 

ANNEXES
♦ Operational Book Record du No. 77 Sqn pour le 11 juin 1940


L'Operational Record Book du Squadron 77 pour juin 1940 indique que le 11 juin, l'équipage du Sergeant SONGEST est porté disparu.  
Source : The National Archives


Dans cette autre page d'ORB du Squadron 77, on découvre la liste des 8 équipages qui participèrent à la mission.
A noter l'erreur concernant l'avion de SONGEST : le matricule est noté N1390 au lieu de N1362. Le N1390 était affecté à l'équipage du F/O. Marks.  

Source : The National Archives


Dans ce document, nous découvrons que Turin était la cible principale mais que des cibles secondaires avaient été définies :
Milan Gênes, Savone et la lac Majeur. Le premier vol que devait effectuer les avions était Driffield, Poole, Jersey. Puis les avions
devaient redécoller entre 20h00 et 21h00 [ils décollèrent en fait entre 20h05 et 21h45 si l'on en croit le document précédent]
et devaient franchir la côte française à Saint-Cast [vraisemblablement Saint-Cast le Guildo, en Côtes du Nord]. 
Pour le vol retour, il était demandé aux avions de passer à l'ouest du Rhône avant 4h00 du matin et de refaire rapidement
le plein à Jersey pour libérer cette base avancée.

Source : The National Archives


Dans ce second document, il est indiqué que la Flak allemande en Italie pourrait être plus intense que celle des italiens. Par contre,
les chasseurs italiens semblaient plus dangereux pour la chasse de nuit. Les atterrissages en France étaient réservés aux atterrisages
d'urgence. Le silence radio était demandé pour le vol jusqu'à Jersey.  

Source : The National Archives


Liste des avions désignés pour la mission du 11 juin 1940, parmi lesquels les 8 avions du No. 77 Sqn.
L'avion de SONGEST portait la lettre Q (code KN-Q).

Source : The National Archives

♦ Document des Archives Nationales anglaises
   (source : famille Ombler)

Ce document nous révèle des informations sur ce qui arriva aux corps des cinq aviateurs

CAS N° 3
132. Le Whitley N1362 fut l’un des derniers avions britanniques basés dans les îles Anglo-Normandes avant qu’elles ne soient abandonnées aux Allemands. Il quitta sa base de Jersey dans la nuit du 11 au 12 juin 1940 à destination de Turin, avec un équipage de cinq sergents, le pilote étant le sergent N.M. Songest et l’un de ses hommes, le sergent P.H.J. Budden. La cible, située dans le nord de l’Italie, impliquait un long trajet au-dessus de la France.

133. Peu après la disparition de l’appareil, un rapport confus fut reçu de France par l’intermédiaire du War Office, et interprété comme signifiant que le sergent Songest et deux autres sergents avaient été amenés morts au 9e Hôpital Général. Aucune mention d’un enterrement n’y figurait. Au moment où le rapport fut reçu, le 9e Hôpital Général avait déjà été évacué. On apprit du War Office que l’hôpital avait été temporairement installé près du Mans (Sarthe), mais il ne put être plus précis, tous les registres de l’hôpital ayant été perdus lors de l’évacuation. Des recherches spéciales mais infructueuses furent menées pendant la guerre, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge internationale, pour retrouver le lieu de sépulture des trois sergents.

134. Six ans plus tard, la 1ère Unité procédait à des recherches dans la région du Mans et découvrit que, dans le cimetière du Grand-Lucé, un village situé à environ 25 km au sud, se trouvait une annexe militaire britannique. Elle contenait plusieurs tombes identifiées et non identifiées, de soldats et d’aviateurs morts en France jusqu’en juin 1940. Dans l’une d’elles se trouvaient les corps de deux aviateurs et de trois soldats. L’un des aviateurs n’était pas identifiable ; l’autre portait une chevalière en or gravée « N.M.S. » – les initiales du pilote du Whitley, le sergent Songest. La bague fut envoyée au Bureau des pertes, qui la présenta au père du sergent Songest. Celui-ci la reconnut comme appartenant à son fils. L’autre aviateur de la tombe était sans aucun doute l’un des quatre autres membres de l’équipage. Aucune trace du troisième sergent mentionné dans ce rapport confus du 9e Hôpital Général ne fut trouvée.

135. Au même moment, l'Unité de Recherches et d’Enquêtes sur les Disparus enquêtait sur un accident survenu à environ 80 km au nord-est, dans le village d’Orgères-la-Roche (Mayenne). On établit que dans la nuit du 11 au 12 juin 1940, un avion britannique s’était écrasé et avait explosé dans la commune. À cette époque, le département de la Mayenne n’était pas encore occupé par les Allemands. Des officiers français inspectèrent les débris, et quelques jours plus tard, une équipe de la Croix-Rouge britannique arriva et aurait emporté certains des corps dans un camion à destination inconnue. Plus tard, lorsque les Allemands arrivèrent, les restes des autres victimes furent placés dans un grand cercueil en bois et enterrés dans le cimetière communal de Lignières-la-Doucelle, à environ cinq kilomètres au sud d’Orgères-la-Roche.

136. Lorsque les officiers enquêteurs visitèrent la tombe, ils constatèrent qu’elle portait l’inscription : « Ici reposent quatre aviateurs anglais ». L’exhumation ne permit pas de déterminer le nombre exact des occupants, les corps ayant été désintégrés dans le crash, mais elle livra un indice important : un briquet Ronson en assez bon état, gravé « P.B. Dec. 2nd, 1939 ».
Des objets tels que bagues, étuis à cigarettes ou briquets portant des initiales sont d’une aide précieuse dans les recherches sur les disparus, mais ils le sont davantage lorsqu’ils comportent trois ou quatre initiales. Les inscriptions à deux initiales, comme « P.B. » dans ce cas précis, ne permettent généralement pas d'orienter suffisamment le champ d’investigation. Les dates gravées sur ces objets sont souvent utiles, car elles correspondent presque toujours à des anniversaires — les objets étant souvent des cadeaux de vingt et un ans
[la majorité].

137. L’enquête menée par le Bureau des pertes permit, par élimination, de conclure que l’accident d’Orgères-la-Roche concernait probablement le Whitley N1362, bien qu’il fût difficile de concilier ce fait avec la découverte, à 80 km de là, du corps du pilote. Néanmoins, les enquêteurs poursuivirent la piste du briquet Ronson. Le seul membre de l’équipage auquel les initiales « P.B. » pouvaient correspondre était le sergent P.H.J. Budden. La date « 2 décembre 1939 » fut ensuite vérifiée, et il apparut que le sergent Budden était né le 4 (et non le 2) décembre 1913 ; le briquet, s’il lui appartenait, n’était donc pas un cadeau d’anniversaire.

138. Une lettre adressée à la famille du sergent permit toutefois de résoudre le mystère : le sergent Budden s’était marié le 2 décembre 1939, et le briquet était un cadeau de sa jeune épouse. Le briquet, transmis avec le rapport de l’officier enquêteur, fut envoyé à Mme Budden, qui le reconnut.

139. Il existait désormais une preuve concluante que deux membres de l’équipage étaient enterrés au Grand-Lucé et les autres à Lignières-la-Doucelle. Deux anciennes erreurs furent ainsi corrigées : deux, et non trois, sergents de la Royal Air Force avaient été admis au 9e Hôpital Général, et trois, et non quatre, sergents reposaient dans la tombe de Lignières-la-Doucelle.

140. L’explication la plus probable de la séparation des cinq membres de l’équipage est que l’équipe de la Croix-Rouge britannique mentionnée plus haut recueillit les restes qu’elle put trouver et les transporta vers l’hôpital, qui, à cette époque, était mobile et en fuite. Lorsque les Allemands arrivèrent, ils trouvèrent d’autres restes sur les lieux du crash et les firent enterrer localement.

141. Le travail considérable consacré à ce problème complexe, tant sur le terrain qu’à Londres, suscita des lettres de remerciements chaleureuses de la part des familles des disparus.

 

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