21 juin 1944

Messerschmitt Bf 109 G-6
La Selle-Craonnaise

(contributeurs : Pierre Joufflineau (association Tous en Selle), Philippe Dufrasne)


Le Me 109 G-6 tombé à la Selle-Craonnaise le 21 juin 1944
Photo collection privée A. Verdier
 

Pilote
Unteroffizier Horst BOËGEL - 5./JG 53. 
né le 6 août 1923 à Instersburg.
Gruft 48, Grabkammer 84, Mont-de-Huisnes

L'HISTOIRE
Le 21 juin 1944 au matin, deux chasseurs allemands Messerschmitt Bf 109 G doivent atterrir en urgence dans un champ de la ferme de « Queue de Viel » à l'Ouest de la Selle-Craonnaise. L’un s’abîme légèrement contre un arbre, l’autre se pose à proximité, suscitant la curiosité des habitants venus observer les appareils et leurs pilotes, auprès desquels se seraient tenus quelques soldats allemands. L'après midi, le jeune agent de liaison Joseph Courcier fils (maquis de Renazé) repère les lieux pour préparer une attaque. Puis, un commando de 8 résistants mené par Joseph Courcier père tente de détruire les avions et de récupérer des armes. Au cours de l’action, le pilote Horst Boëgel (21 ans) est abattu, et un autre soldat allemand se rend. Un avion est partiellement incendié et quelques armes sont récupérées.

Les jours suivants, les Allemands réagissent et tirent sur des maisons du village heureusement sans faire de victimes. Ils réquisitionneront des Sellois pour garder les avions. 
Finalement, les avions seront démontés et transportés par l’armée allemande vers Craon.

EXTRAIT DE L'ARTICLE "LA RÉSISTANCE - ATTENTAT DES RÉSISTANTS LE 21 JUIN 1944"
(avec l'aimable autorisation de l'auteur, Pierre Joufflineau)

Le fait marquant lié à la résistance est bien évidemment l’évènement qui eut lieu autour de ce 21 juin. Tous les sellois unanimement ont été marqués par cet épisode de la guerre et les nombreux témoignages des sellois ont permis de reconstituer la chronologie de cet évènement En tout premier lieu, laissons parler Bernard FLAHAUT qui écrivit ce qui suit :

Correspondance du 2 septembre 2009 entre Bernard Flahaut et Pierre Joufflineau.

« … Mais venons-en à d'autres souvenirs.... Tu vois, il y a toujours un petit côté comique dans les situations les plus dramatiques..... »

« Le 21 juin 1944, la guerre s'invite à La Selle-Craonnaise. Il faut bien dire qu'à part les prisonniers en Allemagne, rien n'avait changé dans le village. Ce matin-là, nous étions à table dans la salle commune dont la porte était grande ouverte : une femme de journée était venue pour la journée. Soudain, deux avions allemands passent au-dessus de la cour de la ferme. Que se passe-t-il ?
Heureusement, le facteur arrive quelques heures plus tard et nous annonce que ces deux avions se sont posés à proximité de « Queue de Viel ». Internet n'existait pas encore...

Bien sûr, toute la famille décide d'aller voir ces avions de près. Un des avions semble intact, l'autre a perdu ses ailes. Les deux pilotes regardent avec amusement la foule des curieux qui sont venus les admirer. Puis nous rentrons à la ferme après de nombreux commentaires avec les uns et les autres.

Le lendemain matin, la femme de journée arrive au « Plessis » toute bouleversée et excitée. Nous nous mettons à table. « Heureuse époque ! » Nous ne mangeons qu'une oie rôtie à la broche. Notre femme de ménage entame le récit des évènements de la soirée. Plus personne ne peut placer un mot ! Elle a vu untel qui lui a dit que les résistants avaient malmené les soldats ! Untel a dit que l'un des aviateurs est mort ! La Kommandantur est intervenue ! On va prendre des otages ! Il va y avoir des fusillés ! On va pendre les habitants du bourg ! On va tout incendier.

Terrorisés, nous restons le couteau à la main mais cette bonne femme a faim. Un morceau d'oie, un petit commentaire et elle affirme que tout cela lui a coupé l'appétit. Un autre morceau d'oie ! L'appétit vient en mangeant ! Elle s'excite et mange toujours. Elle a la figure toute rouge et ruisselante de graisse. Encore un morceau ! Dieu merci, la voilà rassasiée mais l'oie a passé un mauvais quart d'heure. Je regarde le tas d'os qui s'accumulent dans son assiette avec une certaine inquiétude. Et si elle éclatait ? »

« … Mais je parle, je parle, comme elle mangeait... Je n'ai plus l'habitude d'écrire.... »

Cette peur évoquée ci-dessus après l’attaque des maquisards fut effectivement collective. Beaucoup des témoins interrogés ont même évoqué la hantise d’un autre « Oradour-sur-Glane ». Des propos excessifs certes mais qui dénotent bien cette peur collective. Signalons toutefois que la division « Das Reich » du Général Lammerding se trouvait aux environs de Segré à cette même époque. Les hommes de Lammerding sont tristement célèbres pour avoir été les auteurs des massacres de Tulle et d’Oradour-sur-Glane en juin 1944 lors de leur remontée vers le front de Normandie. On n’ose pas imaginer ce qui serait arrivé si cette sinistre division été passée dans notre village à ce moment ! Sans le savoir, les sellois auraient pu avoir sinistrement raison en évoquant ce drame d’Oradour.

Pour aller plus loin sur les circonstances de cette opération contre l’ennemi, j’ai rencontré à maintes reprises un témoin direct en la personne de Joseph COURCIER1 de Renazé. A l’époque des faits,
malgré ses seize ans, il était agent de liaison du maquis de Renazé. Grâce à ses souvenirs évoqués ensemble, nous reproduisons ci-dessous la chronologie de cet épisode :

  • Tôt le matin, deux avions Messerschmitt B109 G tournoient au-dessus du village cherchant apparemment un endroit pour se poser en urgence.
  • Ils atterrissent dans un champ de la ferme de « Queue de Viel » située au NO du village. L’un des appareils heurte un arbre avec son aile droite. L’autre se pose près de 100 m. plus loin.
  • Dès le midi, de nombreux badauds viennent en curieux voir les avions. Les deux pilotes sont également observés près des appareils. D’après d’autres témoignages, on note aussi la présence de soldats allemands (un ou deux maximum). C’est ce jour que M. Albert VERDIER a pris la photo de l’avion malgré l’injonction du soldat allemand qui lui ordonna « Nicht photo » (photo en débutd'article).
  • Joseph COURCIER fils, agent de liaison du maquis éponyme, vient dans l’après-midi en repérage pour préparer une attaque contre les avions.
  • Joseph COURCIER alias « Coulamers », chef du maquis de Renazé décide de monter une opération. L’objectif est de mettre le feu aux avions et de récupérer des armes et du matériel.
  • Un groupe de 8 hommes participe à cette opération.
    Bilan :

    L’UnterOffizer Horst BOGEL2 , l’un des pilotes est tué au cours de l’attaque. L’autre soldat allemand présent sur les lieux se rend aux assaillants.
    Un des deux avions est partiellement détruit.
    Un revolver, une mitraillette et un fusil de guerre sont récupérés.

Quelques jours après :

  • Le lendemain de l’attaque, les soldats allemands venant de Saint-Aignan mitrailleront les façades de maisons en entrant dans le village heureusement sans faire de victimes (on verra longtemps les impacts des balles dans les murs des maisons Pasquier et Duvacher). Henri LECOMTE, maire à cette période, se déplacera à la Kommandantur de Saint-Aignan. Il se découvrira devant la dépouille du pilote, un geste apprécié de l’occupant
  • Après l’attentat, les allemands exigeront que des sellois soient réquisitionnés pour monter la garde la nuit près des avions. Chaque nuit, quatre sellois volontaires participeront à cette garde pendant au moins une semaine.
  • Les deux avions sont récupérés par l’armée allemande. Des témoins sellois les ont vus être transportés sur plateau vers Craon. Le témoignage de Denise M. et Armand M., soeur et frère âgés respectivement de 17 et 11 ans en 1944, apportent un éclairage supplémentaire : « C’était un dimanche à la sortie de la messe et les camions allemands passant dans le bourg chargés de toutes les pièces des deux avions démontés étaient solidement gardés par des soldats allemands. Ils pointaient leurs fusils vers nous qui sortions de la messe et étaient très menaçants. Nous avons eu très peur. Le convoi qui arrivait du bas du bourg a pris la route de Craon ».
    L’intérêt des allemands pour ces avions n’est pas surprenant ; le Messerschmitt Me 109G était un chasseur des plus modernes et l’aviation allemande en avait un besoin crucial surtout à l’époque de l’opération « Overlord »


Une partie du maquis "Courcier" qui comptait 50 hommes à la Libération.
Raymond CAVALIER (2
ème à gauche à l'arrière-plan) faisait partie du commando de "Queue de Viel".
Photo collection Pierre Joufflineau

Le maquis de Renazé était bien connu dans la région pour les nombreuses opérations menées contre l’ennemi surtout à partir de mars 1944 ; il était affilié au groupe « Libération-Nord3 » de Château-Gontier sous les ordres de COUNORD et MARSOLLIER. Concernant l’attaque de « Queue de Viel », Joseph COURCIER reconnait que cette opération ne fut pas une pleine réussite ; d’abord par le fait qu’il furent obligés d’abattre le pilote allemand qui refusa de se rendre, puis parce que les avions ne furent pas entièrement détruits et enfin que les armes récupérées leur furent ensuite dérobées par des hommes douteux qui s’étaient joints à eux et qui s’évanouirent dans la nature aussitôt après ce coup de main.

1 Après la libération du département, il signe un second engagement dans les FFI pour la durée de la guerre et est incorporé dans la 3ème compagnie FFI de la Mayenne. Il obtient le titre de combattant volontaire de la Résistance le 11 juin 1959. Il est aujourd’hui vice-président de l’association des Combattants Volontaires de la Résistance de la Mayenne et membre du comité d’entente des associations de Résistance et de déportation de la Mayenne et du Souvenir français. Il est titulaire de la Légion d’Honneur depuis mai 2014.
2 
Horst BOËGEL est né le 6 août 1923 à Insterburg (ville de Pologne avant son annexion par le Reich pendant la 2nde guerre et passée ensuite sous territoire soviétique après la fin des hostilités en mai 1945). Il convient de noter le jeune âge de ce pilote au moment des faits [21 ans]. Il sera inhumé provisoirement au cimetière de Laval (source JB FRAPPÉ – 1998).

LA PRESSE EN PARLE
Le Haut-Anjou, 6 août 2023

ANNEXES
Certificat de décès de Horst BOËGEL
  (Source document Fold3 "Germany, Military Killed in Action 1939-1948" - origine Bundearchiv - certificat n° G-A 067/0029)

Document d'archive allemande attestant de la perte d'Horst BOËGEL


On y apprend que Boëgel était opérationnel depuis 2 ans, et que l'avion était tombé entre Craon et Saint-Aignan (sur Roë) où se trouve justement 
La Selle-Craonnaise.

Source collection Pierre JOUFFLINEAU

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